Qualifiée de Start-up Nation, Israël est souvent considéré comme un exemple à suivre avec près de 7000 start-ups et une quinzaine de licornes. Parmi les domaines innovants (cybersécurité, santé numérique, agritech, intelligence artificielle…) où le pays se distingue, il faut signaler le très fort dynamisme de son écosystème en mobilité du futur malgré l’inexistence de constructeur automobile national. Plus de 600 startups aujourd’hui contre 60 en 2011, et un écosystème qui attire l’ensemble des constructeurs et équipementiers automobiles internationaux et notamment français. Soutenu par une politique incitative du gouvernement et par un système permettant son développement agile, la communauté d’entrepreneurs peut compter sur l’association EcoMotion. Cette dernière anime et contribue au rayonnement du secteur à l’international par des évènements tout au long de l’année, dont la « semaine EcoMotion » tous les printemps*, qui est devenu un évènement international et incontournable en l’espace de quelques années. Entretien avec Orlie Dahan, Directrice Exécutive d’EcoMotion depuis 3 ans et qui fut aussi la première femme entrepreneure au sein de cette communauté.

*https://www.ecomotionweek.com/agenda

Écosystème et environnement Smart Mobility en Israël

 

Pouvez-vous nous parler d’EcoMotion que vous dirigez ?

 

EcoMotion est une joint-venture à but non-lucratif. Fondée en 2012 par 3 entités – l’ONG Israel Innovation Institute, le programme interministériel Fuel Choices & Smart Mobility Initiative sous l’égide du cabinet du Premier Ministre, et le Ministère de l’Economie – la mission d’EcoMotion est de positionner Israël comme un hub de l’innovation dans le secteur des transports intelligents, et d’aider les start-ups de cette industrie à grandir.

Nous avons d’abord créé une communauté qui réunit tous les acteurs du secteur : les grandes industries, investisseurs, académiciens, municipalités, décideurs publics, etc, en prenant soin de mettre en avant les start-ups qui innovent et apportent des solutions aux défis du transport et de la mobilité. Aujourd’hui notre communauté compte plus de 600 start-ups et 11 000 membres.

 

Comment expliquer le développement de l’écosystème israélien dans les ITS ?

 

Le gouvernement israélien est très investi depuis le début. Cette démarche a commencé en 2011 lorsque nous avons compris qu’en nous intéressant à la mobilité intelligente, nous réduirions notre dépendance au carburant. De là est née l’initiative interministérielle Fuel Choices Initiative, à laquelle est aujourd’hui apposée la dénomination Smart Mobility Initiative. Concrètement c’est plutôt une façon d’aborder la mobilité intelligente de manière holistique. Un budget important lui est consacré pour rassembler les différents ministères autour de projets qui permettent de pousser le développement de l’industrie : la constitution d’appel d’offres, permettre l’implémentation sur le marché de solutions de mobilité intelligente, et réduire ainsi la dépendance au carburant. Le gouvernement propose toutes sortes d’initiatives : électrifier les bus de transports publics en Israël ; investir dans des pilotes de taxis électriques ; avec le Ministère de l’Énergie, ils travaillent sur l’implémentation des stations de recharge électrique – un appel d’offres a été publié en 2019 pour les villes israéliennes afin d’obtenir un certain nombre de stations de recharge subventionnées – ; et encore bien d’autres initiatives, toutes regroupées sous le Smart Transportation National Plan.

En 2017, 250 millions de Shekel (environ 64 M EUR) ont été disposés dans ce Plan pour la création de pilotes, de sites d’expérimentation de véhicules autonomes, de bases de données…

L’approche est différente en Israël et c’est ce que j’apprécie : au lieu d’investir de grosses sommes dans un seul et grand centre d’expérimentation pour lequel il est difficile d’estimer la production de valeur à horizon 5 à 10 ans, le gouvernement favorise le développement de plusieurs sites pour tester différents environnements. On peut citer en exemple un site d’expérimentations dans la ville de Rosh HaAyin dans un nouvel aménagement de quartier, avant qu’il ne soit habité, ou CityZone à Tel Aviv qui a rassemblé et connecté dans ce living lab les données de 2 à 3 quartiers alentours permettant aux startups qui y sont intégrées d’utiliser ces données pour accélérer le développement de leurs technologies ; ces sites sont alors plus dynamiques.

Il y a d’autres initiatives comme l’Autorité de l’Innovation Israélienne (IIA) qui investit jusqu’à 50% en R&D et pilotes, et de manière générale dans ces technologies de rupture.

 

Pouvez-vous nous parler de quelques success stories de start-ups israéliennes ?

 

La plus connue d’entre elle est Mobileye, qui détient le rachat le plus important de l’histoire à ce jour – 15,3 Milliards USD par Intel en 2017. C’est une technologie qui a émergé à l’Université Hébraïque de Jérusalem, une start-up née dans un salon et devenue une entreprise de plusieurs milliards de Dollars, c’est incroyable !

Waze aussi que beaucoup connaissent, qui a été vendu à Google. Si Mobileye a rendu les routes plus sûres, Waze a changé notre façon de conduire en optimisant nos trajets.

D’autres entreprises comme Via, connue mondialement : c’est une technologie israélienne qui remodèle le transport public. Leur premier client a été la ville de New York, et ils ont continué de grandir en signant avec d’autres villes et pays. 

Moovit ou encore Gett (GetTaxi) sont d’autres exemples bien connus.

 

Quelles sont les tendances que vous observez et qui pourraient transformer demain l’écosystème de la mobilité à l’échelle mondiale ? Pourquoi s’intéresser à Israël plutôt qu’à une autre région du monde ?

 

Je pense que ma réponse aurait été différente 5 mois plus tôt et que les tendances observées pourraient être en train de changer au vu de la situation actuelle mondiale. Si nous regardons les choses telles qu’elles sont aujourd’hui :

Pour commencer, toutes les technologies liées à l’autonomie. Et Israël est un des pays les plus avancés pour les découvrir. Je pense par exemple aux technologies LIDAR, aux capteurs extérieurs et à l’intérieur de la cabine, vision optique, cybersécurité… tous les algorithmes de machine learning à base d’IA. Il y a énormément de technologies à explorer ici.

Concernant la sécurité routière, beaucoup de sujets sont également abordés, la sécurité des piétons, la communication entre véhicules et véhicules/ véhicules et infrastructures, etc.

Deuxième grand sujet, l’électrification. Toutes les technologies liées à l’optimisation, du grid, du rechargement, des batteries, de la gestion énergétique des véhicules… Des start-ups telles que Electreon, devenue publique récemment, utilise de l’énergie électromagnétique pour permettre à un bus de rouler 24 heures sans batteries ; StoreDot ou Phynergy proposent quant à elles des batteries pour les véhicules ; Chakratec utilise l’énergie cinétique ; etc.

Troisièmement, je pense qu’en traffic management nous sommes réputés. Pour citer quelques start-ups, Axilion et NoTraffic qui optimisent les routes en fournissant des données concernant le mouvement des véhicules en temps réel, et permettent par exemple l’octroi d’une sorte de pass VIP aux transports publics sur les routes.

Cependant, je pense qu’avec la crise sanitaire du COVID-19 et de ses différents impacts, il pourrait y avoir un retour aux véhicules privés, à l’achat de véhicules de deuxième main, entre autres. Ce qui pourrait ouvrir davantage la voie au monde des services connectés qui peuvent être ajoutés aux véhicules : services connectés pour les passagers, expérience usagers, assistance au conducteur, etc. Nous ne sommes pas encore au stade de flottes de robot-taxis, mais les technologies d’aide au conducteur pour assurer sa sécurité vont maintenant connaître un boom selon moi, comme Mobileye ou d’autres add-ons.

 

Israël ne dispose pas d’industrie automobile. Comment la connexion entre l’industrie mondiale et l’écosystème d’innovation israélien se fait ?

 

Des multinationales du monde entier ont des démarches d’open-innovation avec l’écosystème israélien. De la même manière que certaines start-ups ouvrent un point de vente à l’étranger pour être plus proche de leurs clients, les multinationales, elles, ouvrent leur centre de R&D en Israël afin d’être plus proches des nouvelles technologies, découvrir de nouvelles avancées, réaliser des POC plus rapidement, … General Motors a été le premier à initier ce mouvement, en 2007. Mais rien que ces deux dernières années, d’autres groupes de cette industrie ont ouvert leur propre centre de recherches comme Daimler, Ford, l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi… Il y a comme une course sur le marché en ce moment, notre secteur traverse en effet une phase de digitalisation, créant ainsi une nouvelle vague d’opportunités.

Entretien réalisé par Ariel Ditchi, chargé de développement Export Industrie & Cleantech, au sein du bureau Business France en Israël, avec Mélody Sabbah.