Comme il est désormais de coutume depuis seize ans, le Guide Agro Où Exporter s’annonce à l’approche de la Toussaint sur tous les bureaux des professionnels de la filière agro. Et, pour ce millésime 2023, les chiffres sont édifiants : « Je n’avais jamais vu cela, témoigne Margot Le Guernigou, responsable d’études internationales chez Business France : on est sur des évolutions à deux, voire trois chiffres en un an sur certaines zones ! ».
Une explosion de l’export qui prend le relais d’années post-COVID contrastées et qui redessine un paysage mondial des échanges résolument ouvert. « Le commerce mondial s’emballe et tout le monde peut y trouver sa place, grand groupe ou PME, au grand export ou dans l’Union européenne, signale Margot Le Guernigou. C’est un contexte d’opportunités mais aussi de menaces car la concurrence risque d’être exacerbée ».
D’où l’apport de cet ouvrage-référence qui donne à voir l’état des marchés mondiaux et le potentiel qu’ils offrent aux produits français des trois secteurs-cibles (Alimentation, Vins et Spiritueux, Équipements Agricoles et Agroalimentaires). Une « Bible de l’export » nourrie de l’expertise locale des bureaux de Business France, qui bénéficie cette année de l’éclairage additionnel des conseillers aux affaires agricoles du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. « L’occasion de rappeler le partenariat solide qui unit le ministère et Business France autour de ce Guide », souligne Margot Le Guernigou.
Retour en huit points sur les enseignements de l’édition 2023-2024.
- L'inflation, miroir déformant des records
- Une redistribution des cartes...au sein d'un club restreint de nations
- Cocorico ! La France sur de multiples fronts
- L'appel de l'Amérique
- UE : une valeur refuge menacée par l'inflation
- En hausse : l'Est de l'Europe
- En baisse : la Chine et l'Afrique du Nord
- Adieu années COVID ?
1. L’INFLATION, MIROIR DÉFORMANT DES RECORDS
1 888 milliards d’euros : en 2022, ce chiffre record représente la valeur totale des exportations des secteurs agricoles et agroalimentaires, soit 21% de plus que l’année précédente. Et sur cet ensemble, la part représentée par les produits agroalimentaires passe pour la première fois le billion avec 1 196 milliards d’euros.
Des performances qu’il importe cependant de relativiser : « Les volumes restent stables, voire même diminuent pour certains produits, ce qui signifie que c’est surtout l’inflation qui tire les chiffres vers le haut, analyse Margot Le Guernigou. Il faut donc plutôt se demander ce que cela traduit en termes de segmentation de marché, avec une polarisation de plus en plus forte entre la consommation premium d’une part et la consommation standard ou discount d’autre part ».
2. UNE REDISTRIBUTION DES CARTES… AU SEIN D’UN CLUB RESTREINT DE NATIONS
Cette polarisation a tendance à exacerber les positions des exportateurs déjà établis : en 2022, dix pays réunissent à eux seuls 50% des exportations agricoles et agroalimentaires, et six d’entre eux en réalisent 38% : États-Unis, Brésil, Pays-Bas, Allemagne, Chine, France.
Mais, au sein de ce club restreint de nations exportatrices, les positions ne sont pas figées et évoluent au gré du contexte immédiat. « L’explosion des marchés des céréales et des oléagineux, conséquence immédiate du conflit en Ukraine, a fortement tiré les exportations brésiliennes, que ce soit en produits agricoles ou produits transformés », analyse Margot Le Guernigou. Le pays est désormais deuxième exportateur mondial derrière les États-Unis. Un phénomène qui s’observe également du côté de l’Australie, devenu neuvième. La France, elle, conserve une certaine stabilité, en sixième position, juste derrière la Chine.
Quant aux nations belligérantes, leurs exportations sont forcément très impactées, avec un recul de 5% pour l’Ukraine par rapport à 2021 (seul pays du top30 à afficher une baisse de l’export agroalimentaire en 2022) et une baisse plus difficile à évoluer côté russe en raison du manque de données à disposition.
En revanche, en adoptant une vision plus long terme (2017-2022) et en se concentrant sur l’Union européenne, la poussée de l’Italie et de la Pologne semble manifeste : « Ce sont deux pays qui montent en flèche et qui commencent à grappiller des parts de marché aux quatre leaders européens historiques que sont les Pays-Bas, l’Allemagne, la France et l’Espagne », signale Margot Le Guernigou.
3. COCORICO ! LA FRANCE SUR DE MULTIPLES FRONTS
Dans cette concurrence mondiale, la production française reste une valeur sûre reconnue par les partenaires commerciaux. « Ce qui ressort chaque année du guide Où Exporter, c’est la diversité de l’offre française : l’Hexagone truste les premières places dans de multiples catégories, avec des secteurs aussi divers que les produits agricoles, les vins et spiritueux, les produits laitiers ou la boulangerie viennoiserie pâtisserie ». Une polyvalence qui se retrouve dans les chiffres : la France est ainsi premier exportateur de vins et d’animaux vivants, troisième de produits BVP, quatrième de blé… et de fromage.
« Là où nos concurrents ont souvent une tendance à la spécialisation, sur un type de produits ou sur un segment de marché, nous avons la capacité de proposer un mix équilibré de produits, en milieu et haut de gamme », appuie Margot Le Guernigou. Sans surprise, la France effectue en 2022 l’une de ses meilleures performances, avec un excédent commercial agro de 9,4 milliards d’euros soit 1,9 milliard d’euros de plus qu’en 2021 (+25 %).
4. L’APPEL DE L’AMÉRIQUE
Dans ce paysage remodelé par l’inflation et où la France a des parts de marché à aller chercher, le regard des exportateurs pourrait se tourner résolument vers l’Amérique du Nord. « La production locale en Amérique du Nord connaît un bond inflationniste qui rend l’import presque aussi attractif, explique Margot Le Guernigou. Dans ce contexte, la frange des consommateurs qui tendent à privilégier la qualité acceptent de payer légèrement plus cher pour obtenir du label et du plaisir gustatif ».
Une position française qui n’a cessé de croître au fil des ans (+51% entre 2017 et 2022 aux États-Unis et au Canada), et qui atteint le taux de croissance record de +15% cette année (les Vins et Spiritueux occupant près de 70% des exportations). Aux États-Unis, dans un contexte où les exportations ont crû globalement de 28%, la France se démarque par des performances sur certaines catégories en forte hausse : +30% sur la BVP et +20% sur les produits laitiers et conserves… qui s’ajoutent au traditionnel secteur-clé des Vins et Spiritueux où la France reste le premier fournisseur du pays.
« Plus généralement, le contexte inflationniste doit inciter les exportateurs à se tourner vers les pays où la consommation premium ne connaît pas la crise, notamment au grand export : l’Amérique du Nord mais aussi le Proche et Moyen Orient sont les deux cibles-clés de 2024 ».
5. UE : UNE VALEUR REFUGE MENACÉE PAR L’INFLATION
Cette invitation au grand export ne doit pas diminuer la place privilégiée qu’occupe l’Union européenne dans la liste des débouchés français : le marché unique absorbe en effet plus de la moitié des exportations agricoles et agroalimentaires françaises en 2022 (et la zone Europe, près des deux tiers).
Fait marquant de l’année : l’explosion des cours des céréales qui renforce la place de la France (+53% de ventes en Union européenne sur ce seul poste), notamment auprès de certains clients comme l’Espagne. Le voisin pyrénéen affiche en effet la plus grosse progression européenne de l’année avec une hausse de 24% des exportations vers ce pays – sur les céréales mais aussi sur d’autres filières comme l’élevage, les produits alimentaires ou les vins et spiritueux.
Cependant, cette stabilité à valeur de refuge ne doit pas masquer le risque que fait peser le contexte inflationniste sur le dynamisme des échanges à moyen terme : le consommateur européen se trouve en effet davantage impacté par la hausse des prix que dans d’autres pays à forte maturité. « Les replis observés sur certains marchés labels comme le bio doivent interpeler les exportateurs : même si l’UE reste un débouché majeur, l'incertitude économique devient de plus en plus pesante et les consommateurs deviennent plus regardants dans leurs dépenses », avertit Margot Le Guernigou.
6. EN HAUSSE : L’EST DE L’EUROPE
Une situation qui crée un effet loupe sur les « nouveaux » marchés de l’Est de l’Europe, comparativement plus attractifs que certains marchés voisins historiques. « Le Guide permet de mettre en lumière certaines données factuelles qui renversent nos représentations traditionnelles : par exemple, le PIB par habitant de la République Tchèque est presque équivalent à celui de l’Espagne ».
Pouvoir d’achat en hausse, classe moyenne en croissance rapide, accès facilité par le marché unique et proximité géographique : les pays de l’Est comme la Roumanie, la Pologne ou la République tchèque (pour ne citer que les marchés étudiés dans le Guide) démontrent tout leur intérêt pour les exportateurs français. D’autant que le made in France y reste bien perçu « même s’il n’est pas un sésame absolu et que la concurrence fait rage ».
7. EN BAISSE : LA CHINE ET L’AFRIQUE DU NORD
En revanche, deux destinations sont actuellement sujettes à interrogations.
La Chine, d’abord, qui est la seule zone ayant enregistré un repli conjoncturel des exportations françaises en 2022 en raison notamment de la reprise de ses activités d’élevage domestique, quelques années après l’épisode de peste porcine. Mais l’année 2023 devrait déjà manifester un rebond, grâce au marché des céréales qui revient au premier plan (+110% sur les 6 premiers mois de 2023 comparé à la même période).
Et l’Afrique du Nord, ensuite, qui connaît une trajectoire inverse : après une année 2022 au plus haut, les exportations françaises vers la région pourraient marquer le pas en 2023, une évolution qui s’explique pratiquement exclusivement par la chute des exportations de céréales françaises au premier semestre 2023.
« Ce qu’il faut garder en tête pour ces deux destinations en repli, c’est qu’il s’agit davantage d’un retour à la normale que d’une chute : l’Afrique du Nord a connu une hausse de 103% entre 2021 et 2022, et la Chine était passée en 7e position des clients de la France. Il y a désormais un recul qui temporise les années post-Covid », reconnaît Margot Le Guernigou. A noter que la Chine reste le premier importateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires, poursuivant ainsi sa stratégie de sécurisation alimentaire par constitution de stocks.
8. ADIEU ANNÉES COVID ?
Si une tendance se dégage globalement de la lecture du Guide de cette année, c’est… qu’il n’y a plus vraiment de « tendances » au sens conjoncturel du terme. « On assiste à une forme de normalisation post-COVID : tout ce qui était nouveau et en plein boom à l’époque (e-commerce alimentaire, explosion des achats labels, du fait maison, etc) est aujourd’hui en phase de normalisation et de consolidation », analyse Margot Le Guernigou.
Pour cette raison, la plupart des tendances qui étaient considérées « émergentes » dans les précédentes éditions du Guide sont désormais directement intégrées dans la matrice d’analyse de chaque pays. « Et, à date, on n’envisage pas de changements dans les années proches »…
En parallèle, les effets induits par les années COVID ont tendance aujourd’hui à se diluer dans d’autres facteurs systémiques tels que la guerre en Ukraine ou le dérèglement climatique. « L’inflation est le phénomène numéro un de l’année, mais on ne distingue plus si c’est une inflation issue des années Covid ou le produit d’autres phénomènes conjoncturels ».
Seule certitude : si la flambée des coûts logistiques s’est aujourd’hui atténuée, ceux-ci restent cependant supérieurs à ceux observés en 2019. « Un constat qui oblige les exportateurs à mettre en place des stratégies d’optimisation, notamment si le grand export confirme sa dynamique ».
EN CONCLUSION…
L’année 2023 s’impose donc comme l’année de la démesure pour l’export agro français. Mais, derrière ces données macro, le Guide Où Exporter vaut surtout pour les informations détaillées, pays par pays, secteur par secteur, qu’il est capable d’apporter. « J’invite tous les exportateurs de la filière à le feuilleter pour évaluer le degré d’adéquation de leur produit avec le marché-cible, conclut Margot Le Guernigou : c’est un outil très pratique pour affiner sa stratégie, en même temps qu’un ouvrage passionnant pour comprendre les dynamiques commerciales et géopolitiques à l’œuvre autour du globe… Bonne lecture ! »
Retrouvez toutes les études agro sur event.businessfrance.fr/etudes-agro/