En 2018, pour la première fois dans l’histoire du champagne, on a davantage consommé celui-ci à l’extérieur des frontières françaises que dans le territoire hexagonal… « Une tendance qui se confirme non seulement en valeur - 58,3% des revenus provenant de l’étranger - mais aussi en volume avec 51,3% de bouteilles exportées », précise Anna Achard, responsable du pôle Conseil Vins et Spiritueux chez Business France.

 

 

Exemple parmi d’autres de cette consommation bien portante : l’Espagne, qui a vu ses achats de champagne progresser encore en valeur en 2018, s’établissant autour de 4,2 millions de bouteilles vendues. « Que ce soit pour des occasions festives ou dans un cadre professionnel, le champagne s’est désormais installé dans la culture espagnole, déjà familière des bulles grâce au cava », explique Jordi Melendo, ambassadeur du champagne dans le pays. Et les régions les plus consommatrices sont sans surprise celles des grandes villes (Catalogne, Castille, Pays Basque) et… Ibiza.

 

CRÉMANTS ET MOUSSEUX EN PLEIN DÉVELOPPEMENT

Mais sur le marché des « effervescents », le champagne n’est plus seul à connaître la gloire à l’export : crémants de Loire, de Bourgogne, d’Alsace ou de Bordeaux, les « bulles » ont la cote à la fois en Europe et au Grand export. « Les grands importateurs de champagne que sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Japon et les pays nordiques se retrouvent également dans les places de tête pour les vins mousseux… Ce qui signifie que l’exploration de ces vins s’opère sur les marchés déjà bien acculturés au champagne et qui cherchent à tester d’autres expériences », analyse Anna Achard.

 Les chiffres parlent d’eux-mêmes : : +20% de croissance pour le crémant de Loire, +13% pour les autres mousseux (parmi lesquels : les crémants de Bourgogne, d’Alsace et de Die, et les appellations Limoux, Vouvray et Saumur mousseux). Au Canada ou en Australie, les vins mousseux arrivent même à s’imposer là où le champagne n’a pas encore tout à fait percé : « Ce sont des pays qui vont monter, confirme Anna Achard. Rien qu’au Canada, on a observé une croissance de 18% en valeur sur les crémants ».

 Reste que le champagne conserve une grande longueur d’avance en valeur : « Les mousseux ne représentent qu’un quart du revenu rapporté par le champagne, alors qu’ils forment deux tiers des volumes exportés de celui-ci » signale Anna Achard. Des prix moyens au litre qui se situent autour de 5 ou 6 euros, là où celui du champagne avoisine les 28 euros – un phénomène qui a pu faire apparaître le crémant comme une consommation « par défaut » pour les budgets limités.

 

GRANDES MAISONS ET VIGNERONS

« Le crémant a longtemps eu cette image contraignante : laborieux à produire et peu rémunérateur, il s’apparentait davantage à un passage obligé dans la production d’un vigneron, complémentaire des vins tranquilles ». Mais son développement récent à l’export devrait raviver l’intérêt des producteurs de vins, à commencer par certains vignerons reconnus sur le produit comme Bouvet Ladubay (crémant de Loire) ou Paul Mas (Limoux).   

 Côté champagne, le marché des producteurs est davantage concentré avec un leadership affirmé des grandes maisons, qui expédient +70% des volumes consommés et attirent les consommateurs sur le prestige de leurs marques. En Espagne, des stratégies partenariales ont même vu le jour : Laurent Perrier s’est ainsi associé avec la grande maison de vins de Rioja, Marqués de Riscal, pour la distribution et la promotion de ses bouteilles. « Mais attention à ne pas négliger les champagnes de vignerons, avertit Anna Achard : ils sont en plein développement, grâce aux réseaux de cavistes et de restauration qui misent sur leur qualité sans avoir à endosser leurs coûts de marketing ». Une tendance qui se confirme également en Espagne où « le nombre de cavistes a explosé », déclare Jordi Melendo.

 Pour ces exportateurs indépendants, un seul mot d’ordre pour convaincre : appuyer la différenciation du produit par un solide discours sur sa composition et son histoire. « Dans les dégustations professionnelles comme Tastin’ France, les masterclass de vignerons sont souvent les moments attendus par le public », confirme Anna Achard. Une assertion à laquelle souscrit Jordi Melendo : « On réussit à convaincre le consommateur davantage sur l’information que sur la publicité, surtout à l’ère d’Internet qui a permis de développer la connaissance autour du vin ».

 

PROSECCO, CAVA : UNE CONCURRENCE LIMITÉE

Depuis quelques années, il a pu observer le développement régulier du champagne dans son pays, y compris pendant la période de crise économique : « L’Espagne a une certaine appétence pour les vins à bulles grâce à la culture du cava qui a commencé dès le XIXe siècle autour de Barcelone. On aurait pu croire qu’il bloquerait la percée du champagne, mais c’est plutôt l’inverse : il a pavé le chemin ». De fait, si le cava est toujours beaucoup consommé, il a perdu de son prestige et ses prix ont dégringolé (jusqu’à 1,50 euro le litre pour certaines productions), la faute à une production sans doute trop massive à travers toute l’Espagne orchestrée par les trois grandes maisons - Freixenet, Codorníu et Garcia Carrión - et qui n’a pas su préserver les origines catalanes de l’appellation.

« Parfois on parle de vins concurrents avec le cava, le prosecco ou le franciacorta mais ce n’est pas vraiment la même chose », insiste Anna Achard. « Pour le prosecco par exemple, l’effervescence est injectée et non produite par fermentation, ce qui donne de plus grosses bulles que pour les champagnes et crémants ». Un positionnement de qualité qui devrait garantir à la France, plus gros producteur de vins mousseux, un avantage comparatif de long terme sur ces appellations – même si, côté américain, la percée du prosecco peut susciter quelques inquiétudes en plein contexte de négociations sur la taxation des vins français.

 

DES PARTS DE MARCHÉ À PRENDRE

« Il y a encore des parts de marché à prendre, y compris pour le champagne », affirme Anna Achard. Des pays à fort pouvoir d’achat comme la Corée du Sud semblent tout indiqués pour un développement rapide. Ou les pays nordiques qui raffolent de la gamme « extra brut », à tendance acide. Sans compter l’historique appétence des japonais pour ces produits : « Troisième importateur mondial de champagne, le Japon est particulièrement porté sur le demi-sec, une consommation plus féminine et plus sucrée, dans un pays qui a vu ses échanges avec la France s’accélérer depuis l’accord de libre-échange de février 2019 », confirme Anna Achard. En revanche, côté chinois, l’intérêt pour les vins effervescents semble rester encore limité…

Dès lors, quelle stratégie adopter pour positionner son produit sur ces marchés d’export ? En Espagne, Jordi Melendo insiste sur une distribution par région, et non sur tout le territoire : « Les vignerons signent parfois des contrats d’exclusivité avec un distributeur/importateur dans toute l’Espagne mais, pour moi, c’est une erreur ». Dans un marché du champagne saturé par le marketing, la rencontre directe sera en effet décisive pour convaincre circuits professionnels et particuliers de la qualité du produit. « Être présent pour raconter son histoire est capital, insiste Anna Achard. Surtout au grand export. Et pour les crémants, le conseil est le même : il faut souvent faire goûter nos bulles pour comprendre qu’elles n’ont rien à voir avec leurs concurrents cava et prosecco ».


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