En 2012 lorsque le gouvernement ivoirien décide de lancer le programme PNIA1 (programme national d’investissement agricole) d’un montant de 3,6 milliards de dollars, la priorité est à la relance de la production agricole, notamment sur les filières clés du pays : cacao (1ère place mondiale en termes de production), coton, anacarde, fruits (mangue, banane, etc)… « Aujourd’hui, l’objectif est davantage de développer l’industrialisation et la transformation de ces produits tout en répondant aux besoins de durabilité, explique Constance Tondoh qui, au sein du bureau d’Abidjan de Business France, accompagne les entreprises françaises du secteur des équipements agri/agro dans leur prospection en Côte d'Ivoire ainsi qu’au Mali, au Burkina Faso et au Ghana. Limiter les pertes et augmenter la valeur ajoutée par la production de jus, d’huiles ou d’autres produits dérivés, c’est l’une des orientations que l’on devrait voir émerger dans les prochaines années, sous l’impulsion de PNIA2 ».


Des opportunités nombreuses grâce au soutien du gouvernement

Les entreprises françaises sont prévenues : avec PNIA2, d’un montant de 18 milliards de dollars pour la période 2018-2025, les ambitions des pouvoirs publics ivoiriens en matière de transformation et d’agriculture durable devraient s’accompagner de besoins nombreux et divers en équipements : motoculteurs, faucheuses, vanneuses pour la filière riz, matériel de transformation (lavage, broyage, congélation, conditionnement) pour la filière fruits. Et bien sûr : matériel d’irrigation, l’un des enjeux premiers de la production locale…

Fournisseur reconnu du secteur agricole ivoirien et représentée en nombre par des groupes implantés comme Cémoi, La Compagnie Fruitière, SOMDIAA ou encore Touton, la France n’en est pas moins confrontée à une concurrence de plus en plus féroce : en 2015, elle cède sa première place à la Chine, puis se fait reprendre en 2018 par l’Allemagne et les Pays-Bas qui la relèguent à la quatrième place, battue en brèche sur la compétitivité de certains matériels comme les tracteurs, les pulvérisateurs ou les machines de nettoyage des sols et graines. « Ce qui distingue encore l’offre française, précise Constance Tondoh, c’est une forte adhésion des producteurs locaux à la qualité de ses matériels. Mais attention : il faut savoir prouver la valeur ajoutée qu’apporte son produit à un besoin local et ne pas lui accoler une solution hors-sol ».

 

Les marchés publics internationaux : axe de développement à ne pas négliger pour les PME

Alors : quelle ouverture choisir pour entrer sur ces marchés et prouver sa valeur ? « Cela peut surprendre car on a tendance à les penser réservés aux grands groupes, mais les contrats de marchés publics internationaux sont remportés à 50% par des PME », analyse Magali Voisin-Ratelle, chargée de mission au sein du département AgroTech de Business France. À l’échelle mondiale et toutes tailles d’entreprises confondues, ils représentent une manne de 9000 milliards de dollars par an… soit la moitié du PIB américain. « Dans le secteur du machinisme agricole et des équipements agroalimentaires, de nombreux projets peuvent bénéficier de l’appui des bailleurs de fonds, mais il y a encore une vraie marge de progression pour que les entreprises françaises s’impliquent sur les appels d’offres », complète Magali Voisin-Ratelle qui participe à des opérations de sensibilisation auprès des fédérations du secteur.

En Côte d’Ivoire où les bailleurs de fonds [1ont un rôle actif pour diminuer les importations et développer l’exploitation des terres arables, les opportunités ne manquent pas : « Dans un secteur agricole qui représente 25% du PIB, les projets financés par des bailleurs de fonds sont presque devenus un passage obligé : en 2016 selon les propres chiffres du ministère local, 61% des financements agricoles émanaient de ceux-ci », signale Valérie Symenouh, chargée d’affaires Export et référente organisation internationales et bailleurs de fonds au sein du bureau d’Abidjan.

 

Les projets financés par l’AFD et la BAD

Avec, à terme, un large spectre de territoires et de sujets couverts : « La Banque Africaine de développement [2] a par exemple lancé deux projets phares dans le secteur, continue Valérie Symenouh. L’un, d’une valeur de 30 millions de dollars vise à développer les infrastructures agricoles dans la région d’Indénié-Djuablin, tandis que l’autre est concentré sur l’appui à l’agro-industrie dans la région du Bélier, avec une enveloppe conséquente de 115 millions de dollars ».

Côté AFD, ce ne sont pas moins de 204 millions d’euros qui ont été engagés depuis 2012 sur le secteur Agriculture et Environnement en Côte d’Ivoire, avec quatre grands projets qui traduisent bien les enjeux agricoles du pays : conservation des ressources naturelles (16,5 millions d’euros), relance des filières agricoles (62,5), filières agricoles durables (89,5), économie et écologie des territoires ruraux (35).

« Nous utilisons notamment les contrats de désendettement et de développement (C2D) pour apporter ces financements, explique Emmanuel Debroise, directeur de l’AFD en Côte d’Ivoire. Soit une conversion de la part de la dette non annulée (dans le cadre de l’initiative PPTE du Club de Paris) en dons pour financer des projets de développement. Les questions liées à la gestion durable des forêts (« agriculture zéro déforestation ») dans le Sud Est de la Côte d’Ivoire ou l’appui aux filières productives (coton) dans le Nord du pays font notamment partie des perspectives étudiées actuellement dans le cadre du C2D en préparation mais également en prêts souverains ».  

 

Décrocher le marché

Alors, concrètement, comment les entreprises françaises peuvent-elles se positionner pour remporter ces fameux appels d’offres sur financements publics ?

« Remporter des marchés publics sur financements internationaux requiert de la rigueur, une très bonne connaissance des procédures de passation et d’attribution de marchés des différents bailleurs de fonds et dépend de moments-clés pour se positionner. En effet, la phase projet (amont de l’appel d’offre) doit permettre la rencontre des bailleurs de fonds, c’est-à-dire les financeurs, et le lancement des appels d’offres est propice à la rencontre avec les agences d’exécution, c’est-à-dire les ministères locaux » explique Magali Voisin-Ratelle. « Forcément, prime est donnée à celui qui cadre le mieux en termes de qualité et d’innovation, mais aussi en termes d’ajustement budgétaire… Un critère de prix qui s’accompagne cependant d’une vraie sécurité de paiement, argument notable sur le marché ivoirien. »

« A l’AFD, nous émettons un avis de non objection à toutes les étapes du processus de passation de marché et nous veillons étroitement au suivi en exécution des projets », complète Emmanuel Debroise. « Nous remarquons que les entreprises françaises sont plutôt bien représentées sur certains marchés comme les services d’ingénierie ou certains projets complexes d’infrastructures ». De fait, avec 19 contrats attribués à l’échelle du continent par la Banque Africaine de Développement, les entreprises françaises ont reçu pas moins de 33 millions de dollars en 2018. Une manne (et un prestige) bienvenue(s) pour ceux qui envisagent d’ouvrir ces marchés, notamment en Côte d’Ivoire où les passerelles vers le Sénégal ou d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest offrent des perspectives intéressantes…

Mais le processus du marché public international s’accompagne forcément de quelques embûches : « Souvent les entreprises découvrent les appels d’offres sur le tard, sans avoir forcément en tête le besoin global de la demande ivoirienne, témoigne Valérie Symenouh. Il est important qu’elles mettent en place une démarche amont pour identifier les projets à venir et répondre de façon plus pertinente aux appels d’offres ». Au sein du bureau Business France d’Abidjan, Valérie Symenouh est d’ailleurs en charge de la mise en relation des entreprises avec les bailleurs à travers des événements réguliers.

Emmanuel Debroise confirme : « Côté AFD, nous rencontrons régulièrement les entreprises lors des événements organisés par le Service Economique Régional, les CCEF, Business France pour les aider à identifier les points de convergence entre la valeur ajoutée de leur offre et les priorités des programme sectoriels portés par les pouvoirs publics ivoiriens. L’information sur les marchés financés par l’AFD est également disponible via le site dgmarket ».

Les entreprises françaises sont également poussées à proposer des offres complètes intégrant des solutions de financements : « C’est cette démarche qui permet souvent aux entreprises chinoises de se positionner de façon compétitive sur les projets », confirme Valérie Symenouh.

Sourcing amont, veille des appels d’offres, préparation des pièces administratives… autant de démarches sur lesquelles Business France intervient en appui et qui peuvent s’avérer payantes sur la phase de sélection. « Mais s’il est un point à ne pas négliger, c’est également la recherche de partenaires locaux pour construire son offre et ainsi optimiser ses chances de remporter le marché », ajoute Magali Voisin-Ratelle. Sur ce point, le bureau d’Abidjan propose également des listes de partenaires sectoriels pour aider les entreprises dans leur prospection.

« La Côte d’Ivoire est une porte d’entrée pour rayonner sur l’ensemble de la région. Avec ses nombreux projets de développement et l’implication des pouvoirs publics, le secteur des équipements agri/agro a de beaux jours devant lui dans le pays », résume Constance Tondoh. « S’implanter via des marchés publics internationaux, c’est un gage de long terme qui fera forcément boule de neige sur d’autres projets… »

  

[1] Banque Africaine de Développement, Agence française de développement, Banque Mondiale, Banque Ouest-Africaine de Développement, FAO…
[2] Particulièrement active via son programme « Nourrir l’Afrique », la BAD investit en moyenne 612 M USD par an dans l’agriculture et l’agro-industrie africaine et prévoit de renforcer ses interventions sur les investissements agricoles à hauteur de 2,4 Mds d’USD par an.

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