En 2021, le marché de la cosmétique en Chine a affiché une croissance de 21% par rapport à l’année précédente. Effet rebond post-COVID ? Pas seulement… « Cela fait plusieurs années que la Chine fait valoir une croissance à deux chiffres en matière de cosmétique, et les prévisions maintiennent un taux entre 10 et 15% d’ici 2024 » signale Mélanie Gaudin, directrice de l’activité Art de vivre et Santé sur la zone Greater China pour Busines France. Une lame de fond qui ne devrait pas s’essouffler (69% des consommateurs ayant moins de quarante ans) et qui devrait faire de la Chine le futur numéro un de la cosmétique mondiale – devant les Etats-Unis dès 2025.

Pas étonnant par conséquent que les exportateurs français s’y précipitent, appâtés par le volume d’affaires et les perspectives long terme. Mais le chemin pour y parvenir ressemble davantage à une ligne de crête. « Entre stratégie marketing coûteuse, multicanalité et contraintes réglementaires, il faut savoir naviguer pour trouver un positionnement rentable », avertit Mélanie Gaudin. D’où une demande d’accompagnement qui ne cesse de s’amplifier - côté fournisseurs comme importateurs/distributeurs.

 

1.Une consommation maintenue en temps de pandémie

2.Des consommateurs de plus en plus jeunes, de plus en plus premium

3.Parfumerie, cosmétiques hommes, naturalité et beauty tech

4.Une concurrence venue d'Asie, voire...de Chine

5.Stratégies de distribution et réseaux sociaux : le besoin d'intermédiaires

 

 

UNE CONSOMMATION MAINTENUE EN TEMPS DE PANDÉMIE

Depuis le début de la pandémie en 2020, les appels d’acheteurs locaux ponctuent d’ailleurs le quotidien des équipes de Business France : « C’est un paradoxe, explique Mélanie Gaudin : à un moment où le pays est fermé de l’intérieur, le besoin de rencontrer de nouvelles marques n’a jamais été aussi fort chez les acheteurs, contraints au repos forcé en matière d’événements business. Du coup, ils font appel à nous pour une prospection digitale déjà qualifiée ».

De mai à septembre 2022, elle lancera sur la zone la deuxième édition du French Beauty Booster, un programme de rencontres digitales personnalisées avec des donneurs d’ordre locaux, enrichi de sessions d’information autour d’enjeux forts du marché (e-commerce, gestion des réseaux sociaux, accès réglementaire, etc)[1]. Objectif : mobiliser l’offre française, particulièrement prisée par les consommateurs locaux qui la placent depuis cinq ans en deuxième position derrière son rival japonais. « L’année dernière, sur le même programme, 60% des participants ont signé des contrats », confirme Mélanie Gaudin.

Entre 2019 et 2021, l’offre Made in France a enregistré pas moins de 59% de hausse de ses exportations en Chine, une performance qui fait de ce marché le débouché numéro un de la French Beauty. Et le potentiel reste important… « Ce qui impressionne avec la Chine c’est que c’est le seul marché au monde à avoir enregistré une progression en temps de pandémie » relève Mélanie Gaudin.

De 2019 à 2022, le marché chinois de la cosmétique a en effet connu un bond de 40% de son chiffre d’affaires - un phénomène qui s’explique à la fois par le report des consommateurs chinois sur des achats domestiques (alors qu’ils affectionnent habituellement la consommation de produits haut de gamme hors des frontières) et par le niveau élevé d’adoption du digital[2] qui a permis à la consommation de produits cosmétiques de se maintenir, ceux­ci se vendant à 38% en e­-commerce. « La Chine a été également un des premiers pays à sortir momentanément de la crise, même si les événements récents contredisent la tendance, analyse Mélanie Gaudin. Au global, même si le contexte pandémique a des impacts forts en matière logistique et commerciale[3], il ne devrait pas menacer durablement l’attractivité du pays pour les biens de consommation ».

 

DES CONSOMMATEURS DE PLUS EN PLUS JEUNES, DE PLUS EN PLUS PREMIUM

Car au-delà de la jeunesse des consommateurs, ce sont les budgets récurrents consacrés aux cosmétiques qui plaident pour une tendance de long terme : environ 60% d’entre eux dépenseraient en effet entre 200 et 1000 renmimbi par mois (soit entre 28 et 140 euros) et 24% seraient au-dessus de 1000 renmimbi par mois. « La notion de routine cosmétique telle qu’on l’observe chez les voisins coréens et japonais commence à s’installer en Chine également, explique Mélanie Gaudin. Avec l’avènement de l’ère du paraître sur les réseaux sociaux et la recherche accrue d’efficacité (sur le vieillissement, l’hygiène, la peau), le poids quotidien des cosmétiques s’amplifie sur une classe moyenne de plus en plus urbanisée ».

Et, quand il s’agit d’acheter des cosmétiques, cette classe moyenne se tourne en priorité vers des produits au positionnement Luxe ou Haut de gamme, la plupart du temps importés. En 2021, les Chinois représentaient ainsi 23% des dépenses de Luxe dans le monde (et même 35% avant la pandémie qui les a privés d’une consommation hors des frontières), avec 70% du segment occupé par des marques étrangères ; mieux, l’arrivée à maturité des millenials bouscule les codes du marché traditionnel : « Auparavant, les consommateurs se réfugiaient dans la fascination des grandes marques internationales ; aujourd’hui, ils sont davantage séduits par les univers de niche qui leur permettront de se différencier », analyse Mélanie Gaudin. Sur internet, on note ainsi une plus grande recherche d’originalité, avec six connexions en moyenne avant l’acte d’achat. Des comportements fureteurs qui ont permis à certaines pépites de l’offre française de connaître de belles envolées sur le marché : Eugène Perma, Diptyque, Pier Augé…

 

PARFUMERIE, COSMÉTIQUES HOMMES, NATURALITÉ ET BEAUTY TECH

Sur certains segments, l’appétit des millenials est encore plus marqué, à l’image de la parfumerie devenue en quelques années le deuxième pan du marché[4] avec 65% de consommateurs de moins de trente ans et un potentiel immense à venir (la part de la Chine n’étant aujourd’hui que de 2,5% du marché mondial).

Ou encore le segment des cosmétiques pour Homme qui envahit les rayons des boutiques retail et online : « Les hommes représentent aujourd’hui 35% des consommateurs et certains produits comme le maquillage et le fond de teint progressent à grande vitesse », signale Mélanie Gaudin. Un exemple ? Dans le domaine du rouge à lèvres, le Key Opinion Leader le plus célèbre (KOL, équivalent à « influenceur ») est… Austin Li, un jeune homme de vingt-neuf ans.

Cette soif de modernité incarnée par la nouvelle génération se traduit également dans un intérêt marqué pour les deux tendances mondiales clés du secteur : l’innovation technologique (Beauty Tech) et la recherche de naturalité (Clean Beauty). « La Chine est devenue en quelques années un laboratoire de la Beauty Tech », témoigne Mélanie Gaudin. +120% de ventes e-commerce sur les appareils de beauté intégrant de la technologie, +60% des consommateurs témoignant avoir déjà essayé des outils tech pour du diagnostic ou du soin… Pour les startups et laboratoires R&D du secteur, le marché chinois est devenu un incontournable en quelques années.

Mais côté Clean Beauty, les enjeux sont différents : si la demande est effectivement en explosion, l’absence de reconnaissance des labels internationaux rend le marketing plus ardu. « Il n’est malheureusement pas possible de faire valoir un standard de qualité supérieur par ce biais ; mais la forte poussée des consommateurs laisse penser que les autorités pourraient demain proposer leur propre label. À suivre donc… », confie Mélanie Gaudin. D’autant que sur des pans comme le cruelty free, les indicateurs sont eux plutôt au vert avec la suppression récente des obligations de tests sur les animaux pour accéder au marché.

 

UNE CONCURRENCE VENUE D’ASIE, VOIRE… DE CHINE

Une chose est sûre : si les opportunités de long terme sont légion côté innovation, les Français ne sont pas les seuls à les avoir détectées… Japonais, coréens, australiens et bien sûr américains et britanniques : dans un marché concurrentiel comme la Chine, mieux vaut prévoir un positionnement différenciant et un budget marketing conséquent pour s’adresser au consommateur. « Les japonais et coréens ont souvent une longueur d’avance en matière de compréhension des codes et des besoins du consommateur chinois », analyse Mélanie Gaudin. Packaging de petit format (50 voire 30 millilitres pour des parfums), multiplication des coffrets et des offres saisonnières, exaltation du sentiment patriotique (China Pride) sont autant de stratégies payantes dans l’Empire du Milieu. L’enseigne Estée Lauder ne s’y est d’ailleurs pas trompée en créant une marque dédiée, Osiao, qu’elle décrit comme « adaptée aux besoins des peaux asiatiques ». Pour la majorité des exportateurs, cette adaptation du produit passe davantage par l’ajout d’idéogrammes ou de couleurs rouges sur les packagings.

Un phénomène qui, au-delà de l’anecdote, traduit une dynamique à l’œuvre sur le marché cosmétique chinois : la montée d’un sentiment national qui s’inscrit désormais dans l’offre de produits. « Si le made in China a longtemps fait figure de repoussoir pour des consommateurs méfiants, il est désormais reconnu pour ses standards de qualité et de R&D, auxquels s’ajoute une volonté de revisiter les valeurs authentiques de la Chine à travers des éléments comme le thé, la médecine traditionnelle ou le riz ». D’où le surgissement récent sur les réseaux sociaux de certaines marques premium comme Perfect Diary, Florasis ou, avant eux, Herborist qui a ouvert une boutique à Paris en 2015. « Ces marques de la C­Beauty (cosmétique chinoise) s’imposent désormais comme un concurrent sérieux pour l’offre française car elles jouent sur le même positionnement mais avec une connaissance accrue du marché, avertit Mélanie Gaudin. L’une des manières de contourner le problème est donc plutôt de les approcher en private label car elles sont toujours en recherche de savoir­faire ou d’ingrédients et formulations premium ».

 

STRATÉGIES DE DISTRIBUTION ET RÉSEAUX SOCIAUX : LE BESOIN D’INTERMÉDIAIRES

Quelle que soit la stratégie retenue pour exister face à cette concurrence, la conquête du marché chinois ne se fera pas sans relais installés sur place : « Le marché chinois réclame une bonne réactivité pour gérer le foisonnement des canaux de distribution et l’actualisation permanente des réseaux sociaux : les piloter depuis la France serait une illusion », avertit Mélanie Gaudin. Sans surprise, la clé passera donc par des partenaires – importateurs, distributeurs mais aussi third partners (TP) – capables de cibler le meilleur mix offline/online pour la marque…

« On parle souvent du digital quand on évoque la Chine mais le offline reste primordial, surtout pour des secteurs comme la cosmétique ». Dans les grandes villes, les multimarques spécialisés chinois comme The Colorist, Harmay ou H.E.A.T viennent désormais concurrencer les traditionnels Sephora, Watsons et Mannings avec une proposition orientée sur l’expérience plutôt que l’achat (décors instagramables, profusion d’échantillons, diversité de marques). Mais ceux-ci ne peuvent être abordés en direct et réclament l’intermédiation d’un importateur.

Même constat sur le e-commerce où, malgré l’illusion d’un accès rapide et direct grâce au cross-border, l’impératif d’une stratégie volume conduit à moyen terme à un recentrage sur le e-commerce domestique et ses intermédiaires. Sur ce segment, les plateformes généralistes sont connues, de TMall à JD.com, mais les ventes cosmétiques se déportent de plus en plus sur les sites de user generated content comme A Little Red Book ou les réseaux sociaux comme WeChat ou Douyin, emblèmes du social commerce. « L’imbrication des réseaux sociaux dans la stratégie de vente en ligne constitue un challenge pour les exportateurs qui connaissent mal ces activations si spécifiques au marché chinois : il faut trouver les KOL et KOC[5] sur chaque plateforme et jongler en permanence sur plusieurs canaux ». Une stratégie qui demande donc un budget mais aussi un temps d’installation, d’autant que s’ajoutent les contraintes réglementaires[6] qui retardent souvent l’accès des produits au marché – compter entre six et quinze mois en fonction des spécifications du produits. « L’une de nos recommandations est alors de tester le marché en e-commerce transfrontalier pendant la phase d’enregistrement pour avoir déjà quelques retours d’expérience au moment d’aborder une stratégie plus complète de pénétration online et offline », conseille Mélanie Gaudin.

 

À l’heure où le pays renforce ses mesures de fermeture, ses équipes continuent plus que jamais leurs actions sur place. « La situation nous amène parfois à nous substituer aux exportateurs en nous rendant auprès des acheteurs et dans les usines quand c’est possible ». Les rencontres du French Beauty Booster seront d’ailleurs l’occasion de mettre à profit cette intelligence de marché auprès des exportateurs restés en France. « La Chine et ses consommateurs restent très ouverts et appétents ! confirme Mélanie Gaudin. C’est le marché incontournable de la beauté made in France ».

 


[1] Plus d’informations : French Beauty Booster - Chine
[2] Avec 42% de parts de marché, la Chine est le premier pays au monde en matière d’e-commerce
[3] Les délais d’acheminement sont passés à quatre mois et les coûts logistiques ont été multipliés par cinq
[4] Derrière la dermo-cosmétique et le maquillage (1) et devant les soins capillaires (3)
[5] Key Opinion Consumer
[6] En savoir + sur la réglementation des produits cosmétiques en Chine