Utilisé depuis des années dans l'industrie pétrolière et la chimie, l'hydrogène commence à trouver sa place dans un monde caractérisé par le développement croissant des énergies renouvelables. Ce gaz apparait de plus en plus comme un moyen efficace pour décarboner différents secteurs de l’économie et faciliter l’intégration des énergies renouvelables. Alors que le gouvernement doit présenter très prochainement son Plan national hydrogène, Business France fait le point avec Philippe Boucly, président de l’association française pour l’hydrogène et les piles à combustibles (Afhypac).

Quel peut être l’impact de l’hydrogène en France ?

« Nous considérons que l’hydrogène peut jouer un rôle majeur dans la transition énergétique et permettre notamment de réduire de 55 millions de tonnes les émissions de gaz carbonique à l’horizon 2050, soit réaliser un tiers de l’effort nécessaire pour atteindre l’objectif fixé dans le cadre de l’accord de Paris[1]. L’hydrogène contribuerait alors à 20 % de la demande d’énergie en France, soit 5,5 millions de tonnes d’hydrogène, c’est-à-dire une consommation six fois plus importante que celle d’aujourd’hui. A l’heure actuelle, ce gaz est utilisé principalement dans les secteurs du raffinage, de la chimie et dans la production d’engrais, mais l’hydrogène peut permettre de décarboner le secteur du bâtiment, de la mobilité et de l’industrie. C’est aussi une vraie opportunité économique car nous considérons que le développement de l’hydrogène décarboné - et des technologies qui lui sont liées - permettrait de créer en France une industrie à part entière qui, en 2030, représenterait un chiffre d’affaires d’environ 8,5 milliards d’euros, pour plus de 40 000 emplois, et compenserait les éventuelles pertes d’emplois qui pèsent aujourd’hui notamment sur le secteur de l’automobile. En 2050, ce chiffre pourrait atteindre 40 milliards d’euros et plus de 150 000 employés».

Pourquoi parle-t-on d’hydrogène décarboné ?

« Il existe plusieurs procédés de production de l’hydrogène. Le plus courant est le reformage du gaz naturel par de la vapeur d'eau surchauffée. On parle alors de vaporeformage. En présence de cette vapeur d'eau et de chaleur, les atomes de méthane se dissocient en hydrogène et gaz carbonique. 95 % de l’hydrogène est aujourd’hui fabriqué par ce procédé. L’inconvénient de cette technique est d’être très polluante car la production d’un kilo d’hydrogène produit dix kilos de gaz carbonique. Un procédé non polluant de production de l’hydrogène est l’électrolyse de l’eau, c'est-à-dire la décomposition de l’eau à l'aide d'un courant électrique. Cette méthode n’est vertueuse que dans la mesure où l’électricité utilisée est non-carbonée. Le procédé est intéressant car il permet d'obtenir assez facilement un hydrogène pur. Cependant, bien que les technologies de l’hydrogène soient matures, les développements étant encore confidentiels, les coûts restent élevés. Il faut changer d’échelle pour bénéficier d’effets de série, évoluer sur les courbes d’expérience et ainsi faire baisser les prix».

Quelles sont vos recommandations pour permettre le développement de cette filière ?

« Nous attendons un message politique fort pour faire reconnaître le rôle de l’hydrogène dans la transition énergétique. On entend souvent dire que l’hydrogène est cher et dangereux. Ce n’est pas la bonne approche. La sécurité est maitrisée. Par ailleurs, les technologies émergentes sont toujours plus chères au départ, il faut donc des subventions publiques pour permettre le développement de ces projets coûteux au départ. Il faut également adapter le cadre règlementaire en France et au niveau européen. L’hydrogène peut par exemple être injecté dans les réseaux de gaz naturel, mais il faut préciser dans quelles conditions et faire en sorte qu’une règlementation européenne soit mise au point. Actuellement, en France, on peut injecter jusqu’à 6 % en volume d’hydrogène dans le gaz naturel et 10 % en Allemagne, il y a un fort besoin d’harmonisation.

Nous demandons aussi un soutien à l’innovation, quelques dizaines de millions d’euros permettraient à cet égard de matérialiser le soutien de l’Etat à ce vecteur énergétique prometteur».

Quid de la mobilité ?

« En 2050, l’hydrogène pourrait alimenter 18 % du parc de véhicules et ainsi contribuer à réduire les émissions de CO2 ainsi que les émissions polluantes et de microparticules. Les voitures roulant à l’hydrogène ont l’avantage d’avoir une autonomie de 500 à 600 kilomètres et de se recharger en trois minutes.

Avec 250 voitures, la France a la flotte de véhicules hydrogène la plus importante d’Europe. L’exemple le plus marquant est celui des taxis Hype à Paris. Il s’agit de la première flotte de taxis hydrogène au monde, lancée en 2015 pendant la COP 21 par la Société du Taxi Electrique Parisien. La flotte compte aujourd’hui 70 véhicules et l’objectif est d’atteindre 600 taxis Hype en 2020. Tout l’enjeu est de développer simultanément les stations : il y a une vingtaine de stations hydrogène en France actuellement et 40 stations d’ici fin 2019 : notre étude prospective table sur 140 stations en 2023 et 400 en 2028, pour alimenter une flotte de 10 000 véhicules en 2023 et 200 000 véhicules en 2028.

Les équipementiers automobiles français se sont emparés du sujet de l’hydrogène. A côté des modèles produits par Toyota (Mirai) et Hyundai (iX35), la société Symbio a mis au point, en coopération avec Renault, un Kangoo à prolongateur d’autonomie : une petite pile à combustible et un réservoir de 1,7 kg d’hydrogène permettent de doubler l’autonomie du Kangoo électrique. Nous sommes convaincus de la complémentarité entre les véhicules électriques à batterie et les véhicules électriques à hydrogène : il y a de la place pour tout le monde car les usages sont différents. Le véhicule à hydrogène étant particulièrement adapté à des usages intensifs ».

NB : Les chiffres 2050 et 2030 font référence à l'étude McKinsey intitulée “Développons l'hydrogène pour l'économie française”, pour l’Afhypac, le CEA et 11 industriels (Air Liquide, Alstom, EDF, Engie, Groupe Michelin, Hyundai Motor Europe et France, Plastic Omnium, SNCF, Total, Toyota Motor Europe, Faurecia)

Pour en savoir plus : http://www.afhypac.org/

Propos recueillis par Constance de Cambiaire

[1] Dans le cadre de cet accord, la France s’est engagée à limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et a pris l’engagement de réduire ses émissions de CO2 de 310 millions de tonnes en 2015 à environ 90 millions de tonnes en 2050.

Portrait de Philippe Boucly 

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