Le 5 décembre prochain dans les rues de Djeddah en Arabie Saoudite, les plus grands champions de Formule 1 viendront s’affronter sous les yeux de la communauté internationale, dans une course nocturne aux allures d’inauguration pour le Royaume. Une semaine plus tard, le 12 décembre, ce sera au tour d’Abu Dhabi d’accueillir les concurrents dans son « Grand Prix du soleil couchant » qui constitue le point d’orgue de la saison de F1 – et l’une des vitrines incontournables de la diplomatie sportive émirienne depuis près de quinze ans.

 

 

1. Arabie et Emirats : deux marchés challengers dans l'ère post-covid 4. Le sport pour tous
2. Une programmation sportive en explosion en Arabie Saoudite 5. La France aux avant-postes ? Mobiliser la filière équine
3.Emirats:l'effet accélérateur de l'expositionuniverselle 6. Quel environnement business ?

 

ARABIE ET ÉMIRATS : DEUX MARCHÉS CHALLENGERS DANS L’ÈRE POST-COVID

Ces deux événements voisins, qui offrent chacun une ouverture sur leur territoire, témoignent de la vitalité sportive des pays du Golfe, bien au-delà du Qatar – pays souvent cité en exemple lorsqu’il s’agit de développement sportif. « Ce qui est intéressant avec ces deux marchés, c’est qu’ils sont à des niveaux de maturité différents mais qu’ils s’entraînent mutuellement, explique Pascal Roger, coordinateur de la filière Art de Vivre et Santé sur la zone du Proche et Moyen Orient pour Business France. Les Émirats Arabes Unis, déjà matures et attractifs sur le plan de la visibilité internationale, offrent une ouverture et des compétences vers l’Arabie Saoudite, trop souvent tributaire de son image ; et l’Arabie Saoudite, en pleine construction, offre un réservoir de projets et d’opportunités pour les entreprises qui souhaiteraient transcender la concurrence aux Émirats ».

 

Alors que les campagnes de vaccination au COVID-19 battent leur plein (les Émirats étant devenus récemment le pays qui vaccine le plus au monde, devant Israël), la réouverture des frontières et l’effet de rattrapage rapide prévu dans ces deux pays devraient inciter les exportateurs de la filière sport à inscrire le Golfe dans leur feuille de route 2022. « L’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis sont en plein dans la cible des pays que nous avons identifiés comme ‘challengers’ ou ‘à potentiel’, explique Arnaud Pellichero, chef de projet Sport chez Business France. C’est-à-dire des pays qui devraient voir les opportunités se multiplier dans un avenir proche, en raison de programmes gouvernementaux ou de grands événements organisés ».

 

UNE PROGRAMMATION SPORTIVE EN EXPLOSION EN ARABIE SAOUDITE

En Arabie Saoudite, c’est la Vision 2030 – programme ambitieux de modernisation économique et sociétale porté par le Prince Mohamed Ben Salmane – qui matérialise toutes ces attentes dans le domaine sportif, avec tous azimuts des projets d’infrastructures (le Sports Boulevard à Riyadh ou encore Qiddiyah, gigantesque parc d’activités en banlieue de la ville) et des événements de diplomatie sportive. « En organisant des grands shows à domicile, le ministère des Sports et la puissante General Entertainment Authority entendent éviter la fuite des ressortissants saoudiens (et de leur épargne) vers les pays alentours », analyse Pascal Roger. « Mais également mettre en avant une image plus moderne - notamment sur la place des femmes, désormais admises à la fois dans les tribunes et sur le terrain (ex : Dania Akeel, pilote de rallye saoudienne) ».

 

Pêle-mêle on retrouve ainsi sur le sol saoudien : des matchs de football internationaux (Supercoupe d’Italie, match amical Brésil-Argentine en 2018), le « Dakar du désert » depuis janvier 2020 (contrat prolongé pour cinq ans), le « Saudi Tour » organisé par Amaury Sport Organisation, un match de boxe opposant les deux stars Tyson Fury et Anthony Joshua et une candidature aux Jeux d’Asie 2034… De quoi motiver la commande de nombreux équipements ou services d’événementiel et de formation. « On en est au tout début, confirme Pascal Roger. Ce n’est pas encore la phase de construction mais celle du positionnement des offres : c’est maintenant que les entreprises doivent venir ».

 

ÉMIRATS : L’EFFET ACCÉLÉRATEUR DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE

Aux Émirats Arabes Unis, le tempo est motivé par d’autres urgences : avec l’Exposition Universelle prévue à Dubaï d’octobre 2021 à mars 2022, la présence de nombreux donneurs d’ordre locaux et internationaux devrait catalyser les retombées business sur le segment du sport – mis spécialement à l’honneur entre le 26 novembre et le 9 décembre. De plus, la reprise de grands salons évènementiels (Arab Health, Gulf Food) et l’afflux probable de touristes cet été devraient relancer l’intérêt des autorités et fédérations sportives de chaque émirat pour la création de nouveaux événements ou pour les produits de sport importés. Rien que sur les articles de sport et équipements, on recensait ainsi 128 millions de dollars d’importations sur tout le territoire avant la pandémie. « Les Émirats ont déjà fait leur mue en matière d’infrastructures et d’événements », confirme Pascal Roger qui cite la Dubaï World Cup hippique, le Dubaï Marathon, le Grand Prix ou encore la construction récente du stade Mohamed Bin Rashid à Al Aweer et les célèbres piste de ski et patinoire artificielles. « Mais de nombreuses opportunités sont encore à prévoir dans le domaine de la pratique sportive où les programmes gouvernementaux de lutte contre l’obésité ont leur rôle à jouer[1] ». Parmi eux, le Dubaï Fitness Challenge 30 x 30 incite ainsi les résidents à pratiquer une activité d’au moins 30 minutes par jour pendant 30 jours.

 

 

LE SPORT POUR TOUS

Un développement qui fait écho à celui de l’Arabie Saoudite, où le sport pour tous est encouragé en partie pour les mêmes raisons. En 2015, constatant que seuls 13% des Saoudiens exerçaient une activité sportive de plus de trente minutes par semaine, le ministre des Sports évoquait ainsi son ambition de faire passer ce taux à 40% d’ici 2030. Avec à la clé : des réaménagements urbains incluant des aires de jeux et de sport mixtes (dans le cadre du programme national Quality of Life) et des zones résidentielles privées en pleine mutation (les équipements se multipliant dans les condos bourgeois, avec une croissance de 16% des clubs de fitness en 2019). À date, 8 milliards de dollars sont dépensés annuellement en produits de sport sur le territoire saoudien.

 

« C’est ici qu’il faut distinguer les pratiques des deux pays car on ne parle pas de la même population, précise Pascal Roger. Si les Émirats Arabes Unis sont à majorité cosmopolite (90% d’une population de 10 millions d’habitants), l’Arabie Saoudite est à majorité nationale, avec 35 millions d’habitants dont un tiers d’étrangers (principalement du monde arabe ou du sous-continent indien). La culture du sport à l’occidentale est donc bien implantée aux Émirats mais elle reste à construire en Arabie Saoudite, notamment sur le segment des femmes ». La Mahd Sports Academy s’est ainsi donnée pour mission de structurer la formation des jeunes saoudiens de plus de six ans, garçons et filles, dans toutes les filières, et une collaboration avec l’INSEP est en cours sur le sujet. « Qu’il s’agisse de l’Arabie Saoudite ou des Émirats Arabes Unis, on parle de pays vraiment jeunes, avec des âges moyens recensés de 29,8 ans pour l’Arabie Saoudite et 32,6 ans aux Émirats Arabes Unis », précise Pascal Roger.

 

LA FRANCE AUX AVANT-POSTES ? MOBILISER LA FILIÈRE ÉQUINE

Dès lors, quel rôle la France peut-elle jouer sur ce double terrain de jeu du Golfe ? « Même si les deux pays sont de culture anglo-saxonne, les entreprises françaises partent avec l’avantage d’une bonne renommée en matière de savoir-faire, de formation et d’ingénierie, mais également de performances sportives internationales – qui jouent pour la crédibilité ». Plusieurs grands acteurs comme ASO, Lagardère ou Décathlon sont d’ailleurs déjà bien positionnés et la chasse en meute est plus que jamais recommandée (« Les émirati étant les rois du mix-use immobilier, il est important d’arriver avec une approche d’ensemblier », signale Pascal Roger). Mais si l’Arabie Saoudite reste un territoire non trusté par les concurrents, les Émirats Arabes Unis sont plus compétitifs : sur les importations sportives, la France se classe en effet 7ème nation du pays avec seulement 2% de parts de marché, là où la Chine et l’Inde disposent d’une nette avance (respectivement 50% et 19%) - puis le Royaume-Uni sur une gamme plus premium. « C’est important de mobiliser l’offre française car nous pensons qu’elle pourrait davantage investir le marché. Notamment sur les trois segments porteurs que sont la filière équine, le football et le sport pour tous ».

 

Sur la filière équine en effet, les chiffres d’importation émiriens font rêver : 250 millions de dollars d’équipements tous pays confondus, dans une filière où la France a de belles références. « C’est quasiment pareil en Arabie Saoudite où les écuries sont à la fois nombreuses et peu équipées. C’était un univers fermé qui s’ouvre peu à peu », signale Pascal Roger. Du 7 au 10 décembre prochain, son équipe organise les French Sports Days[2] pour profiter de la présence des donneurs d’ordre saoudiens et émiriens sur l’Exposition Universelle (où l’Arabie Saoudite possède le 2e plus gros pavillon) : « La filière équine sera une des plus en vue », confirme-t-il. Mais d’autres filières comme les sports mécaniques ou nautiques, voire les sports traditionnels comme la fauconnerie, peuvent également tirer l’offre française. « Et côté football, il ne faut pas oublier qu’Abu Dhabi est aussi actif que son voisin qatari, avec par exemple le rachat en 2008 de Manchester City par le Sheikh Mansour Bin Zayed (avant même l’acquisition du PSG par le Qatar en 2011) ».

 

QUEL ENVIRONNEMENT BUSINESS ?

Comment se faire une place alors sur ces deux territoires ? « La collaboration avec des partenaires identifiés localement et la démonstration de références internationales antérieures seront bien évidemment valorisées, voire nécessaires pour certains appels à projets publics », souligne Pascal Roger. « D’autre part, la mise en avant de l’argument du long terme sera indispensable pour évincer la concurrence, notamment aux Émirats où la négociation se fait à la virgule près ». Au-delà de ces aspects concurrentiels, les deux États proposent un environnement business plutôt favorable – même si les Émirats restent bien en avance avec leurs zones franches et la préservation de la propriété de l’entreprise. « L’Arabie Saoudite commence à peine à mettre en place des zones économiques spéciales et des dispositifs d’incitation à l’immigration de cols blancs qualifiés ». Le Royaume doit encore lutter contre une image défavorable liée à la tradition religieuse et la place des femmes. « La Vision 2030 accélère le changement et n’est pas qu’une campagne de communication, témoigne Pascal Roger. En six ans de présence à Riyadh, j’ai vu personnellement les changements sur le terrain, qu’il s’agisse d’émancipation sociétale ou de libération des forces du privé ».

 

L’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis seront donc au cœur des préoccupations de la filière Sport dans les mois qui viennent (au même titre que d’autres pays cibles comme le Mexique, le Canada ou l’Inde). Face aux efforts de prospection qu’ils représentent et afin de minimiser le risque financier pour les entreprises, un volet Export a été intégré au Plan de Relance de la filière Sport le 1er octobre dernier. « Il s’agit pour la filière de bénéficier d’aides à la prospection comme les Chèques Relance Export ou les événements physiques et digitaux, signale Arnaud Pellichero. L’implantation est également soutenue, à travers le Chèque V.I.E ». En Arabie Saoudite comme aux Émirats Arabes Unis, ces dispositifs pourraient être un coup de pouce bienvenu pour commencer une installation réussie. « Je le répète : la période post-COVID est favorable sur ces marchés, conclut Pascal Roger. Autant profiter du coup de projecteur de l’Exposition Universelle pour explorer la zone et prendre des contacts ».

 


 
[1] 27,8% des adultes sont obèses aux Émirats Arabes Unis
[2] En savoir plus : extranet-btob.businessfrance.fr/frenchsportsdaysauxemiratsarabesunis/