Sur le Delta du Nil et aux abords du canal de Suez, leurs bassins allongés s’étalent à perte de vue. La saison n’est pas commencée mais les aquaculteurs égyptiens comme Sherif Sadek, producteur de crevettes et président de la section Afrique de la World Aquaculture Society, se préparent pour l’accueil des alevins nés dans les écloseries alentours, et pour ces nombreux mois d’élevage qui devraient les amener, entre octobre et décembre, à la récolte des poissons et crustacés. Objectif implicite de cette culture « en milieu fermé » : fournir à l’Egypte la presque-totalité de son approvisionnement en poissons.

 

1. LE PREMIER PAYS AQUACOLE D’AFRIQUE

3. COURSE À L’ÉQUIPEMENT

2. CONSTRUIRE UNE AQUACULTURE D’EXPORT

4. DES ACTEURS FRANÇAIS RECONNUS

 

 

LE PREMIER PAYS AQUACOLE D’AFRIQUE

« L’Egypte est un pays qui trouve une bonne partie de ses apports protéiques dans le poisson, explique Sherif Sadek. Or, les eaux de la Méditerranée ou de la Mer Rouge produisent de faibles rendements, tandis que le Nil, situé deux mètres en-dessous du niveau de la mer, constitue un terrain fertile. D’où l’idée de se tourner vers une production à 80% aquacole… ». Un choix qui se retrouve dans les chiffres : sur les 2 millions de tonnes de poissons produits en Egypte, 1,6 millions proviennent de l’aquaculture, faisant du pays le premier producteur aquacole d’Afrique et du bassin méditerranéen, et le sixième du monde. « Et la tendance est à la hausse, avec une production qui augmente de 5 à 8% par an ».

 

Ce phénomène d’emballement, il est le fruit d’une démographie grandissante mais aussi d’une politique volontariste de l’Etat égyptien qui, depuis quelques années, s’est lancé dans un véritable programme d’investissements et d’incitations, sous la houlette du GAFRD (General Authority for Fish Resources Developement). Pas moins d’une trentaine de sites sur les côtes égyptiennes du bassin méditerranéen ont été approuvés ces dernières années pour la production en cages, tandis que des méga-projets comme les fermes publiques El Fayrouz (plus grande ferme du Moyen Orient, située à Port Saïd) ou Berket Ghalioun (dans la province de Kafr El Sheikh) sont venus témoigner de la volonté de multiplier les écloseries et de développer les savoir-faire aquacoles.

 

« Pour le gouvernement égyptien, l’enjeu est triple », explique Atika Ben Maïd, Senior Program Officer à l’Agence Française de Développement (AFD). « Outre l’autosuffisance alimentaire – qui s’avère cruciale dans un pays de 110 millions d’habitants[1] – le levier sur l’emploi est particulièrement scruté dans un secteur qui représente plus de cent cinquante mille travailleurs. Mais par-dessus tout, c’est son potentiel à l’export qui commence à faire son chemin : là où les marges à l’export étaient limitées il y a cinq ans, elles commencent à devenir aussi intéressantes, voire plus, que le marché national… »

 

CONSTRUIRE UNE AQUACULTURE D’EXPORT

Au cœur de ce calcul : le développement d’espèces cultivées à forte valeur ajoutée. Face au tilapia, poisson local d’eau douce et d’eau saumâtre qui bat des records de volumes (plus des deux tiers de la production aquacole nationale, 3e place mondiale) et de popularité (1 euro le kilo en moyenne), le gouvernement aimerait compléter ses efforts avec une aquaculture marine pourvoyeuse de bars, de soles, de mérous, de crevettes ou encore de crustacés. « Ces espèces étant consommées en Europe, la possibilité d’ouvrir des débouchés par ce biais semble réelle, confirme Atika Ben Maïd. Mais cette option implique de respecter un cahier des charges européen en termes de qualité, d’hygiène ou de chaîne du froid qui constitue encore une marche à gravir pour les producteurs locaux. D’où l’action du GAFRD et le soutien apporté par l’AFD… »

 

Lancé à partir de 2015, le programme SASME de soutien aux PME agricoles, cofinancé par l’AFD et l’Union Européenne, comporte justement un volet aquacole. « L’idée est d’apporter une assistance technique pertinente, sous forme de pilotes réplicables par exemple, pour aider les producteurs à améliorer leurs rendements et lever les barrières à l’exportation. Le projet K21 d’Alexandrie est à ce titre un bel exemple de collaboration avec le GAFRD », témoigne Atika Ben Maïd. Au cœur de ce projet d’écloserie publique : six bassins en béton, une zone de refroidissement et un puits d’eau salé, le tout financé et réhabilité par l’AFD et destiné à accompagner les actions de formation du GAFRD auprès des aquaculteurs. « Nous incitons également les producteurs à recourir aux intrants locaux au lieu de les importer, et nous avons récemment financé de nombreux équipements », ajoute Atika Ben Maïd. Parmi ceux-ci : des « stations de collecte des alevins mobiles » (qui visent à limiter les pourcentages de pertes d’alevins lors de leur transfert depuis le milieu naturel) ou encore des systèmes d’informations marché pour donner de la visibilité prix à tous les producteurs.

 

COURSE À L’ÉQUIPEMENT

Les équipements… un nerf de la guerre important pour un marché de PME familiales encore en plein développement. Au-delà de ses fonctions de producteur, Sherif Sadek est également importateur et distributeur de matériel aquacole (roues à aubes, injecteurs d’air, filtres, trieurs, analyseurs de qualité de l’eau…). Pour lui, le prix des équipements peut représenter une barrière psychologique mais le ROI est immédiat : « Les équipements de filtrage et de triage, notamment, sont très efficaces pour sélectionner les poissons par taille ; on peut facilement envisager des économies d’échelle sur ce type de matériel ». Au-delà, des besoins s’expriment sur le recyclage de l’eau à l’heure où l’accès à cette ressource devient de plus en plus cher, et sur le matériel de stockage (ex : serres en plastique) dans un secteur où toute la production aquacole se concentre sur les mois de novembre et décembre. « Organiser davantage la filière en coopératives permettrait probablement à la centaine d’exploitations aquacoles du pays de collaborer sur ce type de mécanismes (stockage, recyclage) et de vendre le poisson directement au client », confie Sherif Sadek.

 

Par-dessus tout, il milite pour l’amélioration de la production des alevins directement sur le sol national : « Le développement de l’aquaculture passe nécessairement par l’accroissement de la production d’alevins en local, notamment pour les espèces rares comme le maigre qui sont encore trop souvent récoltés en sauvage[2] alors qu’ils pourraient être produits en écloseries. Plutôt que d’acheter les alevins à des entreprises étrangères, nous devons rechercher des coopérations technologiques avec celles-ci pour initier une production locale ». Via la World Aquaculture Society, il organise en décembre prochain une conférence-expo intitulée « Aquaculture Africa 2021 (Afraq21) » à Alexandrie[3]. « Deux entreprises françaises ont déjà réservé leurs stands », confie-t-il.

 

DES ACTEURS FRANÇAIS RECONNUS

Une présence française qui peut s’expliquer par l’expertise technologique de certains acteurs en matière d’éclosion ou de rétention des alevins. « Les bureaux d’études français spécialisés sur les secteurs halieutiques à l’instar de COFREPECHE, ODYSSÉE Développement ou Poséidon pourraient éventuellement trouver des relais de croissance en Egypte », souligne Atika Ben Maïd. D’autres entreprises d’intrants (Le Gouessant) ou de matériel aquacole (Faivre) sont régulièrement citées. « La France est particulièrement identifiée sur les sujets d’aquaculture marine, qui est le segment-cible de développement », confirme Atika Ben Maïd.

 

Les perspectives semblent donc encourageantes pour les acteurs français qui chercheraient des débouchés sur le marché égyptien. D’autant que les projets bailleurs (UE/AFD mais aussi italiens) viennent en appui de la dynamique : « Même si le programme SASME était amené à se clôturer, les lignes de crédit resteraient ouvertes pour financer notamment les projets d’aquaculture sur le sol égyptien, quelle que soit leur nationalité », signale Atika Ben Maïd. Une projection sur du long terme, donc, qui vient confirmer un mouvement de fond. En 2014, le secteur exportait 28 000 tonnes. En 2019, le chiffre monte déjà à 35 000.

 

 

 

 


[1] A date, la production nationale (pêche et aquaculture) fournit 19,7kg de ration annuelle par habitant, sur une consommation totale de 22,3 kg/habitant (statistiques 2020 du GAFRD, portant sur l’année 2018)
[2] 25 000 tonnes d’alevins de maigre récoltés dans le milieu naturel en Égypte en 2018
[3] AFRAQ 2021, 11-14 décembre 2021, Alexandrie