« Le tourisme en Arabie Saoudite est déjà en soi un sujet qui intrigue. Mais l’évoquer en pleine crise du COVID-19 où les mobilités sont fortement contraintes en fait un vrai challenge ! » plaisante Pascal Roger, responsable du bureau Business France pour l’Arabie Saoudite.

Et pourtant… Malgré tous ces paradoxes, le secteur touristique, érigé au rang de secteur-clé dans l’économie modernisée du Royaume, semble concentrer les promesses. « Et la crise du COVID-19 ne devrait pas infléchir les ambitions », confirme-t-il.

Tour d’horizon d’un secteur quasi-vierge où « tout est à faire ».

 

 

UN VIRAGE HISTORIQUE

Tout démarre en 2016 lorsque le Prince héritier Ben Salmane engage la diversification des activités du Royaume pour sortir du tout-pétrole : c’est la Vision 2030. « La crise pétrolière de 2015 avait fait exploser le déficit budgétaire à 16% du PIB. Dans ce pays de 33 millions d’habitants, la mentalité de rente n’était plus envisageable sur le long terme : il fallait créer de nouvelles ressources », explique Pascal Roger. D’où l’idée de développer progressivement le Tourisme, qui a si bien profité aux voisins Emirati et Qatari.

« Au moment du lancement de la Vision 2030, l’activité touristique est cantonnée à la seule dimension religieuse du pèlerinage de la Mecque, avec déjà 8 millions de visiteurs. Les objectifs donnés à l’ensemble du secteur vont alors prendre un virage audacieux : passer de 8 à 30 millions de visiteurs sur le segment religieux, et atteindre 100 millions pour l’ensemble du secteur… Probablement surestimé mais un signal fort pour l’activité », analyse Pascal Roger. En octobre 2019, la parution d’un Visa Touriste accessible en ligne pour 49 pays (essentiellement les pays à fort pouvoir d’achat) vient entériner le dispositif.

 

PROJETS PHARAONIQUES POUR TOURISTES HAUT DE GAMME

Destinataires de ce Visa si particulier : les touristes haut de gamme invités à découvrir les nouveaux projets pharaoniques du pays. Dans le Nord-Ouest, au cœur du désert, la cité futuriste ultra-connectée NEOM entend ainsi attirer les curieux les plus fortunés avec un Visa dédié pour la zone. Coût estimé de construction : 500 milliards de dollars… Sur la côte saoudienne de la Mer Rouge, dans la province de Tabuk, c’est le Red Sea Project et son complexe éco-touristique de 28 000 km2 qui compte faire profiter à ses visiteurs de ses 90 îles vierges. Et près de Riyad, le Qiddiya project, expérience touristique mêlant parcs d’attraction, activités sportives et détours culturels invite carrément le vacancier à un nouveau « lifestyle ». Tandis qu’à Amaala, sorte de French Riviera sur la Mer Rouge, la composante médicale s’ajoute aux nombreuses promesses de détente du site…

 

Mais pour les sociétés françaises, le projet-phare reste celui d’Al Ula - soit la valorisation touristique d’un site nabatéen historique classé au patrimoine mondial de l’Unesco et souvent assimilé à un « Petra saoudien ». En 2018, les autorités saoudiennes ont confié sa gestion à une agence française (créée par l’ex-président d’ENGIE, Gérard Mestrallet) qui devrait apporter son savoir-faire en matière d’ingénierie culturelle et d’infrastructures de transports et d’hôtellerie.

 

LA FRANCE ATTENDUE SUR CES PROJETS

« Le projet d’Al Ula témoigne de l’image particulière dont bénéficient les français sur le secteur touristique : dans un pays où la concurrence des américains, britanniques, allemands ou italiens est exacerbée, c’est un secteur où il y a une vraie expertise à faire valoir. Les saoudiens nous attendent là-dessus ! » appuie Pascal Roger. Et, au-delà de l’ingénierie et de la fourniture de solutions, ces attentes se situent notamment au niveau des investissements : « Contrairement à ce qui se faisait avant 2015, les fonds souverains saoudiens[1] ne prendront probablement qu’une part de 20% dans le financement de ces méga-projets : il faudra donc trouver des investisseurs privés dans le Royaume, mais aussi à l’étranger pour les 80% restants… ». Et la France, avec sa place de 3e investisseur étranger du pays, pourrait donc se positionner pour accompagner ces projets, d’autant que, sur le territoire, elle est déjà présente via des grands groupes comme Accor, premier opérateur hôtelier du pays. « Pour les PME et ETI, il faut s’attendre à un appel d’air de long terme : les saoudiens attendent une vraie relation partenariale, pas seulement une fourniture de solutions ponctuelle », précise Pascal Roger.

 

L’ÉVÉNEMENTIEL, AUTRE FACETTE DU NOUVEAU TOURISME SAOUDIEN

Au-delà du tourisme de luxe - et du tourisme religieux appelé à se structurer autour d’une expérience plus complète - la composante événementielle entre également dans le champ des projets. En décembre 2019, un méga-concert de musique électronique[2] réunissant des stars internationales a ainsi fait vibrer la jeunesse saoudienne au cœur de Riyadh. Un peu plus tôt en octobre 2019, c’était le Future Investment Initiative, sommet annuel qualifié de « Davos du Désert » et organisé par Richard Attias, qui attirait des leaders économiques du monde entier - malgré son boycott l’année précédente en pleine affaire Khashoggi. Dans le domaine du sport, au-delà de l’organisation de grands événements comme le Grand Prix de Formule E, l’Arabie Saoudite entend se doter d’infrastructures sportives, comme des projets de nouveaux stades de football annoncés à Riyad et Djeddah en août 2018. « Les ambitions en matière touristique se portent vers les étrangers, mais pas seulement : le gouvernement vise également les saoudiens pour garder les revenus du Tourisme dans le Royaume et éviter l’exode des vacanciers vers les pays voisins », confirme Pascal Roger.

 

LA SOCIÉTÉ SAOUDIENNE EN PLEINE OUVERTURE

Développement de la pratique sportive, augmentation du budget divertissement (aujourd’hui évalué à 1% du budget des ménages, contre 7% dans le monde), ouverture des cinémas et autorisation des concerts mixtes… « Tous ces phénomènes traduisent les évolutions de la société saoudienne : le Prince Ben Salmane a clairement indiqué vouloir tourner la page de 1979[3]. Et on observe des inflexions, notamment dans le statut des femmes qui peuvent désormais conduire et avoir une activité professionnelle sans port obligatoire de l’abaya, la tenue traditionnelle. Dans les hôtels privés, on envisage même le maillot de bain… » confie Pascal Roger.

 

Ces changements pourraient donc lever les réticences d’une partie de l’offre française qui peine encore à considérer l’Arabie Saoudite comme une destination privilégiée : « Les entreprises sont souvent surprises quand elles viennent visiter le pays car l’ouverture progresse très vite ». Et les rangs des premiers intéressés commencent déjà à croître : « Lorsque nous avons organisé la première mission de prospection dans l’univers du tourisme, du sport et du divertissement en 2017, nous avons reçu 7 entreprises. Cette année, en février, il y en avait le double », témoigne Pascal Roger.

 

LE BUSINESS EN ARABIE SAOUDITE

Car au-delà de ses projets à haute valeur ajoutée, l’Arabie Saoudite présente quelques atouts dans la gestion business qui la différencient de ses voisins : « Dans beaucoup de secteurs, les implantations de filiales étrangères peuvent se faire en onshore ce qui en fait des sociétés de droit saoudien à 100%, contrairement à Dubaï qui attire surtout des filiales en zone franche donc du offshore. De plus, on travaille en direct avec les saoudiens, sans intermédiation d’expatriés, ce qui facilite le dialogue et la prise de décision », constate Pascal Roger.

Mais certains challenges doivent cependant être considérés, à commencer par l’obligation d’employer un certain pourcentage de saoudiens. « Une main d’œuvre jeune[4] bien souvent à former et qui reste aux standards européens en matière de rémunération ». Autre condition d’accès recommandé : l’implantation dans la zone, une fois la taille critique atteinte en termes de volume d’affaires, afin d’engager un rapport de long terme avec les partenaires locaux.

 

DES PERSPECTIVES DE LONG TERME…

A date, les infrastructures touristiques du pays ne sont pas encore sorties de terre et, pour beaucoup de chantiers comme NEOM, la tenue des calendriers semble difficile. A Djeddah, les travaux entrepris depuis dix ans sur l’aéroport international accusent du retard. Et la sécurisation des zones touristiques promet de lourds aménagements.

Mais l’enjeu pour l’Etat saoudien reste surtout financier : impulser la dynamique de rentabilité grâce à des capitaux étatiques et étrangers pour permettre la relève par les opérateurs privés saoudiens, c’est le plan financier de long terme… à condition que les finances du Royaume puissent encaisser le choc du coronavirus.

 

… PARTIELLEMENT REMISES EN QUESTION PAR LE COVID-19

Car depuis le 15 mars 2020, les frontières du Royaume sont désormais fermées, et un confinement a été déclaré - de façon partielle puis totale depuis le 6 avril dans les grandes villes du Royaume. Par-dessus tout, c’est la chute de la demande pétrolière qui occupe tous les esprits : « Avant le COVID-19, le prix du baril était à 60 dollars (sachant que l’optimum est à 80 pour l’Arabie Saoudite). Désormais il oscille entre 20 et 30 dollars », témoigne Pascal Roger.

Une saignée budgétaire qui risque d’entamer des réserves financières déjà affaiblies : en 2015, l’excédent du Royaume était évalué à 750 millions de dollars et son endettement à 2%. En 2020, juste avant la crise du coronavirus, ces chiffres s’établissent à 500 millions et 25%...

 

Une crise qui n’inquiète pas outre mesure Pascal Roger en matière touristique : « Elle va conforter l’Arabie Saoudite dans l’idée qu’il faut diversifier ses activités. Et le Tourisme étant au centre de la Vision 2030, il va être rapidement sollicité pour compenser les pertes ». D’où le conseil délivré aux entreprises de « garder le contact fréquemment avec ses prospects malgré le confinement, par emails ou vidéoconférences ».

« Quand l’activité repartira, l’Arabie Saoudite sera un débouché intéressant à explorer : c’est la 18e économie mondiale et elle est en pleine évolution. Là où la plupart des territoires ont des positions à défendre ou maintenir, ici il y a tout à créer ».

 


[1] Via le Public Investment Fund (PIF)
[2] Le MDL Beast
[3] Date de la prise de la Mecque par les conservateurs, symbole du tournant rigoriste du pays
[4] 60% de la population a moins de trente ans