3800 kilomètres de câbles sous-marins reliant Darwin à Singapour pour transporter en continu une électricité d’origine solaire : d’ici 2027, c’est le projet fou auquel l’entreprise australienne Sun Cable souhaite donner vie pour fournir pas moins de 20% des besoins en électricité de la cité-État. Un projet « Power Link » qui repose essentiellement sur les immenses capacités solaires du site de Powell Creek dans la région de Barkly (Nord de l’Australie), où 12 000 hectares de panneaux photovoltaïques pourront produire plus de 14 gigawatts d’électricité dès 2024. 

La transition énergétique au coeur de l'agenda politique 

Power Link, mais aussi AREH¹ dans la région de Pilbara (Australie Occidentale) ou H2 Hub, le nouveau projet d’hydrogène vert pour lequel Total Eren vient de signer un accord avec les Territoires du Nord pour un projet de ferme solaire d’une capacité de 2 GW… : l’Australie fourmille désormais d’exemples en matière de développement et d’exportation d’énergies renouvelables (solaire, éolien terrestre et offshore, hydrogène, mais aussi stockage et transport par batterie). Avec une tendance à l’accélération en 2022 : « Il y a effectivement un contexte favorable, confirme Stéphanie Morley, directrice du bureau australien de Business France. On peut y voir une nouvelle impulsion avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement Albanese en mai 2022, mais également l’aboutissement d’efforts entrepris depuis une dizaine d’années par les États fédérés ».

Car, dans un pays où la majorité de la production et de l’export sont historiquement tirés par le charbon et par le gaz naturel liquéfié (GNL), l’avènement du renouvelable en Australie tient d’abord dans la volonté des États locaux et du secteur privé d’investir dans ces nouveaux modes de production et de consommation : « En Australie, un ménage sur quatre consomme déjà de l’énergie solaire, témoigne Stéphanie Morley. Et côté production, on constate dans les chiffres un avant-gardisme de certains États comme la Tasmanie qui couvre déjà près de 100% de ses besoins énergétiques par du renouvelable, ou l’État du South Australia qui affiche un taux de couverture de 66,5% ». Une ambition locale qui a permis à l’Australie toute entière de tripler en dix ans sa part d’énergies renouvelables (ENR) dans le mix énergétique – celle­ci atteignant désormais 32,5% de l’électricité produite en 2021.

Entre immensité et proximité, un terreau favorable pour les ENR 

« L’Australie présente des caractéristiques très favorables pour le développement de projets renouvelables, confirme Jean Ballandras, directeur Asie­Pacifique chez Akuo Energy. On y trouve à la fois du foncier disponible et des conditions météorologiques de choix (vent et soleil) ce qui rend possible des projets de grande échelle garantissant l’attractivité économique du renouvelable face au fossile ».

Depuis 2015, son entreprise parisienne Akuo Energy, producteur indépendant d’énergie renouvelable, est installée en Australie pour rayonner sur la zone Asie Pacifique : un choix de destination qu’il explique par les perspectives nombreuses du pays (« probablement le premier pays de taille significative de l’OCDE qui complètera sa transition énergétique ») mais aussi par un prisme local et communautaire fort. « L’Australie fonctionne beaucoup en communautés isolées qui adoptent des pratiques de circularité : quand nous sommes venus proposer nos projets d’Agrinergie® – installation de serres photovoltaïques sur des terrains agricoles impactés par les aléas climatiques – nous avons été surpris de l’écho rencontré et de l’intérêt pour la valorisation à la fois énergétique et agricole des terres ; en ce sens, l’Australie offre à la fois des perspectives pour des projets de grande ampleur et pour des marchés locaux d’autoconsommation, comme on peut les trouver également dans les îles du Pacifique² ». Akuo Energy est d’ailleurs en cours de développement pour trois projets de 5 à 15 MW, l’un au sud de Sydney, l’autre dans l’Etat de Victoria et le dernier dans la région de Perth (Western Australia).

Le futur exportateur leader de l'APAC ? 

Une chose est sûre : l’Australie n’a pas encore dévoilé tout son potentiel en matière de renouvelable. « C’est un marché déjà important mais il est encore infime par rapport à ce qu’il sera dans dix ans », prédit Jean Ballandras. Même analyse pour Stéphanie Morley : « Les pouvoirs publics ici parlent de green superpower of the post-carbon world economy³ : cela traduit bien l’enjeu économique, mais aussi politique que représente cette transition pour le pays ».

Car l’Australie d’Anthony Albanese se verrait bien dans le costume d’exportateur leader d’énergies renouvelables dans la zone Asie Pacifique où les besoins n’ont cessé d’exploser, en lien avec l’essor économique et démographique de la région : +70% en consommation énergétique depuis 2000. « Pour l’Australie qui exporte 80% de son charbon vers le Japon, la Chine, la Corée du Sud, Taiwan ou encore l’Inde, l’occasion est historique de translater ces flux vers le renouvelable afin d’anticiper les enjeux à venir et répondre à l’objectif mondial de neutralité carbone d’ici 2050. Une diversification qui lui permettrait de renforcer son assise dans la région indo-pacifique tout en réduisant sa dépendance commerciale à la Chine », souligne Stéphanie Morley.

Une ambition désormais fédérale 

D’autant que les préoccupations environnementales ont envahi le rationnel australien suite aux gigantesques incendies et inondations qui ont ravagé le pays au cours des trois dernières années : « Si Scott Morrison, le précédent premier ministre, avait tendance à capitaliser encore sur la rente charbon du pays4, son successeur Anthony Albanese a montré dès le début de son mandat sa volonté de réparer l’image de son pays sur les questions environnementales, en relevant les objectifs de réduction carbone à ­43% d’ici 2030, au lieu des ­26/28% initialement prévus, et en portant l’objectif de renouvelable dans le mix énergétique à 82% d’ici 2030 ».

Une ambition qui se chiffre en milliards dans les plans d’investissement : 13 milliards d’euros seront ainsi consacrés au développement de réseaux de distribution pour connecter les pipelines des différents États, ainsi qu’à la construction de nouvelles centrales éoliennes et solaires et au développement d’unités de stockage par batterie pour compenser les risques d’intermittence.

« Sur la filière hydrogène, l’Australie cherche également à se positionner en leader avec la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement en énergie hydrogène (HESC) dans l’Etat de Victoria dès 2018 ; pour l’instant les projets restent encore très fortement consommateurs d’énergie fossile, mais l’hydrogène vert poursuit sa progression avec plus d’une centaine de projets recensés par le Clean Energy Australia Council d'ici la fin de l'année, notamment dans les états de Nouvelle-Galles du Sud et du Queensland », note Stéphanie Morley. En 2021, l’Agence australienne pour les énergies renouvelables (Arena) accordait ainsi 103 millions de dollars australiens pour trois projets majeurs de développement (dont 42,5 millions pour un projet soutenu par le Français Engie dans la région de Pilbara en Australie méridionale), à l’issue d’un round d’appel à manifestations d’intérêt ayant rassemblé près de quarante projets 100% verts.

L’atout des minerais 

Il faut dire que l’Australie peut s’appuyer sur son patrimoine souterrain riche en minerais pour accompagner le développement de ces technologies énergétiques propres : troisième producteur mondial de minerais (dont fer, or, lignite, cuivre, nickel, plomb) et deuxième producteur de terres rares, l’Australie se verrait bien jouer un rôle central dans la fourniture mondiale de minerais critiques, nécessaires à la production d’énergies renouvelables.

Un positionnement stratégique qui s’annonce déjà au cœur des discussions bilatérales entre le président Macron et son homologue australien, qui ont décliné en juillet 2022 une feuille de route partenariale en trois piliers (dont l’un consacré au changement climatique et au soutien à la transition énergétique). « Le Forum Ambition Indopacifique prévu en 2023 sera l’occasion pour la France d’incarner ce renouvellement du partenariat franco­australien et de faire valoir les compétences françaises en matière d’infrastructures, de technologies et d’ingénierie du renouvelable», confie Stéphanie Morley qui compte bien profiter de l’évènement pour susciter des rencontres d’affaires entre le tissu d’entreprises françaises spécialisées dans ce domaine et les acteurs clés de la transition énergétique australienne – qu’il s’agisse de financeurs, d’industriels ou d’opérateurs australiens, à l’image de Macquarie Group, de National Australia Bank Limited (NAB), de Fortescue Future Industries ou encore d’Endeavour Energy.

L’équipe de France en force

Car, sur ce marché australien du renouvelable, la filière française est déjà bien identifiée grâce à la présence de nombreux acteurs-clés ayant installé leur siège APAC dans le pays (Total Eren, Engie, VINCI Energies, Bouygues Energies, etc) et grâce au développement de nombreux projets emblématiques. « Outre les projets déjà évoqués de Total Eren et d’Engie, on peut citer le partenariat de Neoen avec Tesla pour livrer des batteries de 100 MW et fournir ainsi des services d’inertie à la ferme éolienne de Hornsdale, dans l’État de South Australia. Ou encore le contrat remporté par la startup AKROCEAN pour fournir des systèmes de data monitoring aux éoliennes en mer des côtes de Gippsland (État de Victoria) », cite Stéphanie Morley. L’expertise reconnue de la France en matière d’hydrogène pourrait également servir de catalyseur à l’accession d’entreprises tricolores sur le marché…

« L’étiquette made in France en tant que telle n’a pas de vertu particulière pour convaincre les donneurs d’ordre, mais le savoir-faire et l’expertise sont particulièrement recherchés dans un pays qui manque de talents sur ces sujets » – 10 millions de dollars australiens ont d’ailleurs été budgétés pour développer les parcours de formation en lien avec les énergies renouvelables.

Pour Jean Ballandras, l’atout numéro un de la France sur ce marché du renouvelable tient à sa connaissance étendue des montages financiers et du millefeuille d’investissements requis pour ces projets : « Il y a une dimension conseil sur laquelle nous pouvons faire la différence, notamment auprès d’ensembliers qui chercheraient à emporter les futurs appels d’offres ». Au-delà des investissements liés à la fourniture d’infrastructures, le montage des modèles de vente et de consommation sont également critiques pour les projets : « La part de risque et de rentabilité n’est pas la même si on vend sur le marché spot, très volatile, ou via des contrats bilatéraux de long terme, plus sécurisés mais plus difficile à boucler : en ce sens, le choix d’un terrain pour un projet n’est pas simplement une question de disponibilité de ressources de production, mais aussi d’un marché de consommation rentable à proximité ».

Des opportunités encore nombreuses

La filière française est donc prévenue : il y a une place à prendre sur ce marché florissant face à des concurrents anglais, allemands, espagnols, américains ou japonais déjà bien organisés. « Certains se disent que c’est peut-être déjà trop tard mais non : la trajectoire est tellement exponentielle qu’il y aura encore des besoins et sur des projets à fort rendement », insiste Jean Ballandras. D’autant que le précédent contexte de crise sanitaire a abaissé certaines barrières opérationnelles en généralisant l’usage du digital pour la prospection. « Nous conseillons aux entreprises de préparer leur venue par ce biais, témoigne Stéphanie Morley. Même si, une fois les projets enclenchés, une présence physique reste obligatoire via une implantation ou un partenaire local : le relationnel reste primordial, notamment avec les Etats fédérés ».

Seul piège à éviter : la tentation de survoler l’écosystème juridique et technique local sous prétexte que l’Australie offre un premier abord accessible. « Il y a beaucoup de subtilités qu’on découvre au fil de nos échanges, signale Jean Ballandras. Il faut prendre le temps de comprendre l’environnement et de s’intégrer ».

Le 25 août dernier, le projet Net Zero Australia mené, entre autres, par les universités de Melbourne, du Queensland et de Princeton publiait ses recommandations en matière d’investissements pour atteindre le zéro carbone d’ici à 2050. Concernant l’électricité, le rapport évaluait ainsi que les besoins s’établissaient à… quarante fois la capacité de production nationale actuelle du pays (dont 1 900 GW d’énergie solaire et 174 GW d’énergie éolienne).

Quelques jours après, le 8 septembre, l’Australie adoptait son premier grand projet de loi sur le changement climatique inscrivant pour la première fois depuis plus de dix ans dans sa législation l'objectif de zéro émission nette d'ici 2050.

De quoi achever de convaincre les exportateurs français de l’énorme potentiel du marché australien des énergies renouvelables.

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[1] Asian Renewable Energy Hub, projet de production d’énergie renouvelable solaire et éolienne (26 GW) couplée à de l’hydrogène vert, auquel BP s’est associé pour 40%

[2] Akuo Energy développe des projets en Nouvelle Calédonie, en Polynésie et au Royaume de Tonga.

[3] D’après l’économiste Ross Garnaut, ancien conseiller du premier ministre Bob Hawke (1983-1991)

[4] L’Australie avait été pointée du doigt par la communauté internationale au sommet sur le Climat de Glasgow de novembre 2021