En 2019, le marché de l’habillement et des chaussures en Amérique du Nord représentait 397 milliards de dollars.

Une pandémie, une crise du retail et trois années plus tard, le voici revenu… presque au même niveau[1]. « On commence même à envisager un dépassement dans certains secteurs comme la joaillerie ou la chaussure qui affichent des croissances 2021 supérieures à 50% », confirme Jean-François Goumy, directeur de l’activité Art de Vivre en Amérique du Nord pour Business France.

 

Un retour à la normale ?

Athleisure et prescription américaine

Le post-covid sera digital

Un positionnement encore difficile en Amérique Latine

Sustainability matters

Des nouveaux canaux de vente et de promotion

 

 

UN RETOUR À LA NORMALE ?

Un rattrapage bien réel donc, qui s’opère sur plusieurs marchés de la zone Amérique(s) et qui dope l’intérêt des exportateurs sur certains pays. Outre les Etats-Unis (qui reste le deuxième marché mondial après la Chine), on note au Canada 19% de croissance sur les ventes du secteur en 2021, tandis qu’en Colombie la croissance s’est maintenue y compris en période de pandémie (+7% sur le prêt-à-porter féminin en 2020, +3% sur le masculin).

Au Chili, où 70% des produits achetés sont des produits d’import, les prévisions parlent même de 69% de croissance sur le secteur habillement et chaussures d’ici 2025 – et 53% sur les accessoires. Une perspective encourageante pour les exportateurs quand on sait que les importations du secteur Mode dans le pays ont augmenté de 80% en cinq ans. « Le Chili est l’un des marchés de la zone qui mérite l’attention des exportateurs français du secteur », témoigne Isabelle Charmeil, directrice Art de Vivre de Business France pour toute l’Amérique Latine.

 

ATHLEISURE ET PRESCRIPTION AMÉRICAINE

Sur les cinq pays que celle-ci couvre pour la filière Mode, Art de Vivre et Santé (Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Mexique), le COVID a fait office d’accélérateur de certaines tendances, mettant notamment sur le devant de la scène des produits dits « d’athleisure » – synonymes de télétravail et de promotion d’un mode de vie « sportif et décontracté ». Rien qu’au Mexique, ces articles ont enregistré en 2020 et en 2021 une croissance de la demande de 25%, avec un net appel d’air pour les chaussures de sport. Un phénomène global venu des Etats-Unis, où le segment est également très porteur – malgré un certain « back to dress up » en écho à la reprise du travail présentiel. Au Canada, les marques de sportswear Lululemon et Lole ont même ouvert des boutiques… pendant le confinement !

Une influence nord-américaine que confirme Isabelle Charmeil : « Les Etats-Unis sont très prescripteurs pour la mode, notamment au Mexique ou en Argentine. Pour exister en tant que marque dans ces pays, il est nécessaire d’avoir déjà une présence aux Etats-Unis ».

Détour aux Etats-Unis donc. Et arrêt sur la Cinquième Avenue.

En octobre dernier, en se postant devant le 611 de la rue, siège de l’enseigne Saks Fifth Avenue, les new-yorkais ont pu être attirés par la signalétique « French Touch » figurant en vitrine. Et peut-être, poussés par la curiosité, s’aventurer au quatrième étage du prestigieux department store pour découvrir, au cœur des rayons, les articles de seize marques tricolores aux identités très fortes – de Camille Fournet à Dawei, en passant par Flair Bodysuit.

 

LE POST-COVID SERA DIGITAL

Mais peut-être que certains, préférant rester chez eux, ont simplement cliqué sur www.saks.com... Pour découvrir, sur le e-shop du grand magasin, les seize mêmes marques « frenchies » également mises en avant via le label French Touch.

« Une double activation online et physique qui a très bien fonctionné », acquiesce Jean­François Goumy, organisateur de cette opération de promotion des marques françaises pour Bpifrance (qui porte le label French Touch). « Après deux années moroses pour le secteur, c’était une belle manière de remettre en lumière les marques françaises ; et, de son côté, Saks s’est montré rapidement partant ». Une preuve de l’intérêt toujours manifeste des retailers pour l’innovation Made in France (« même si celui-ci ne suffit pas et doit s’accompagner d’un marketing efficace », se plaît à rappeler Jean-François Goumy).

Surtout, l’exemple traduit la nouvelle normalité dans laquelle évolue désormais le secteur de la mode aux Etats-Unis et, plus globalement, au sein du continent américain : « Sur le e­commerce, on est passé de 25% des ventes en 2019 à… 38% en 2021 » souligne Jean­François Goumy. Au Canada, les ventes Mode ont littéralement doublé sur ce canal par rapport à 2019. Avec pour effet immédiat : la création de nombreuses market places spécialisées (B2B comme Faire.com, ou B2C comme Saks.com) qui ouvrent le champ des possibles pour des marques en quête d’exposition et de contact direct avec des retailers. « Les enseignes ont maintenant pour stratégie de faire passer un premier test en ligne à leurs nouvelles marques avant de les afficher en magasin physique au bout de une ou deux saisons de performance online », analyse Jean-François Goumy.

Et la tendance ne s’inverse pas, malgré la fin des restrictions. « En Colombie, un importateur avec lequel nous travaillons faisait 2 ou 3% de ses ventes en online : il est aujourd’hui passé à 20% et compte rester à ce niveau », témoigne Isabelle Charmeil.

Sur son marché latino-américain, l’explosion e-commerce s’incarne surtout à travers Linio, la market place chilienne rachetée par le géant retail Falabella. Une étude de la Chambre de Commerce de Santiago affirme d’ailleurs que la mode en ligne devrait croître au Chili de 20 à 30% au cours des cinq prochaines années. « Pour les entreprises françaises, il y a la possibilité de se positionner sur quelques références en online, signale Isabelle Charmeil. Même si, en Amérique Latine, le marché Made in France de la mode est encore très ancré Luxe et boutiques en propres ».

 

 

UN POSITIONNEMENT ENCORE DIFFICILE EN AMÉRIQUE LATINE

Car les réalités ne sont pas les mêmes de part et d’autre du canal de Panama : si les Etats­Unis, le Canada et le Mexique s’affirment comme des marchés de malls accessibles aux marques premium françaises, les marchés brésilien, argentin, colombien et - dans une moindre mesure - chilien, sont encore tiraillés entre une fast fashion locale à faible valeur ajoutée et un segment ultra Luxe dont la distribution s’opère en réseau franchisé ou en boutiques multimarques. « Il est plus compliqué de s’y faire une place quand on est une PME française car les coûts d’entrée sont très importants, admet Isabelle Charmeil. Mais il existe quelques segments à explorer, comme la mode enfant qui connaît une croissance de 5% en Colombie[2] ou le segment Hommes au Chili qui ne cesse de s’accélérer ».

Des niches qui s’affirment au cœur d’une consommation encore marquée par la production locale (pour rappel, le Brésil est quatrième producteur mondial de produits textiles) : « Il y a un attachement fort des consommateurs aisés de la zone latino-américaine aux marques locales premium comme Pineda Covalin (Mexique), Cala de la Cruz (Colombie) ou encore Benito Fernandez (Argentine) », cite Isabelle Charmeil qui insiste du coup sur l’intérêt pour les exportateurs français d’une fourniture en matières premières haut de gamme : dentelles, passementeries, tissus…

De l’autre côté du Golfe du Mexique, la concurrence locale est également très présente, même si elle s’incarne différemment : « Aux Etats-Unis, le marché est trusté par les grands groupes comme Nike, Walmart ou Target qui imposent leurs standards : le positionnement des marques françaises sera donc nécessairement sur du premium avec une différenciation à marteler par rapport à l’offre existante », explique Jean-François Goumy.

 

SUSTAINABILITY MATTERS

Par-dessus tout, le message « local » s’insère dans un discours plus large sur l’écoresponsabilité qui trouve, en Amérique Latine comme en Amérique du Nord, un écho plus large et des incarnations diverses : « La génération Z impose ses nouveaux codes en matière d’éthique, de durabilité des produits, de représentation des communautés, d’artisanat local et circuits courts », explique Isabelle Charmeil. Dans les faits, cette tendance Diversity, Equity & Inclusion (DE&I) se traduit aux Etats-Unis par l’engagement des grandes marques dans l’initiative « 15% pledge » qui consiste à octroyer à la minorité afro-américaine 15% de représentation dans le portefeuille de marque - soit le poids de la communauté dans la population américaine. Et des marques 100% éthiques comme Everlane ou Reformation voient leurs ventes s’envoler…

Au Canada, les statistiques avancent même une hausse de 30% des ventes sur ce type de produits, tandis qu’au Chili comme au Mexique, le « buy less buy better » s’inscrit dans les tendances de blogging et sur les réseaux Instagram et Tik Tok.

« Dans ce paysage écoresponsable, la tendance accélérée par la pandémie a été celle de la seconde main et de la location de vêtements », ajoute Jean-François Goumy qui cite les marques Poshmark aux Etats-Unis ou LXRandco au Canada. Aux Etats-Unis il a assisté au développement de Vestiaire Collective, tandis qu’au Canada c’est le leader européen Vinted qui s’est implanté. Un phénomène CtoC également à l’œuvre en Amérique Latine…

 

DES NOUVEAUX CANAUX DE VENTE ET DE PROMOTION

« Ce qui se joue actuellement sur le marché de la Mode, c’est surtout une nouvelle manière de consommer, au-delà de la seule dimension éthique : les jeunes générations ne se donnent plus le temps d’aller dans les magasins, elles privilégient des expériences fluides et pratiques, bien souvent en digital », analyse Isabelle Charmeil. Sur son marché colombien, la vente par Whatsapp et l’utilisation des réseaux Instagram, TikTok ou Pinterest ont explosé pendant la pandémie et s’inscrivent désormais dans une logique de long terme qui dépasse le seul caractère promotionnel : « Ce sont des canaux qui sont devenus incontournables ; mais il ne faut pas se leurrer, cela prend du temps et du budget de s’y faire une place ».

D’autant qu’au-delà du budget marketing, les services associés à la marque ainsi digitalisée se doivent d’être irréprochables : « Au Canada, c’est 5 jours au maximum et une politique retour sans accrocs », avertit Jean-François Goumy. Aux Etats-Unis, pas moins de 20% des biens achetés en ligne sont retournés – « d’où l’importance d’avoir un stock sur place ! ».

Une généralisation de ces pratiques digitales qui vient éclairer un phénomène d’érosion du marché retail, malgré le dynamisme de certains malls comme le Eaton Centre de Toronto (premier mall d’Amérique du Nord en termes d’affluence) ou le Antara Fashion Mall de Mexico. « Il est certes prestigieux d’avoir une marque alignée dans le rayonnage d’un department store américain ; mais il ne faut pas oublier que ceux-ci ne représentent aujourd’hui que 7% du marché », signale Jean-François Goumy. Même constat au Mexique où les department stores prestigieux comme le Palacio de Hierro ne totalisent que 10% des ventes. Pour les entreprises françaises, le mot d’ordre est donc plutôt de viser les concept stores (ex : Webster, Fred Segal) ou les boutiques indépendantes, plus soucieuses de préserver l’originalité de leurs collections. « Et qui peuvent s’engager sur des commandes fermes, à l’inverse de certains grands retailers qui fonctionnent désormais sur une prise de risque limitée, de type drop-shipping ou consignment », complète Jean-François Goumy.

La clé du succès sur ce marché ? « Arriver avec des moyens pour le marketing et de bons partenaires – les collaborations sont particulièrement prisées en Amérique du Nord comme en témoigne l’expérience de Circle Sportswear. Mais surtout arriver tôt pour installer l’innovation et assurer ainsi une visibilité de marque sur le marché », conclut Jean-François Goumy.

Même son de cloche du côté d’Isabelle Charmeil : « Une marque vraiment innovante, écoresponsable, avec de belles références en Europe pourrait se développer ».

Amérique du Nord ou Amérique Latine, le constat reste cependant le même : « Le e-commerce crée de vraies opportunités en permettant à certaines marques de venir tester les marchés, y compris depuis la France ». Un paradigme digital post-pandémie qui pourrait donc constituer un puissant levier de croissance pour la French Touch outre-Atlantique. Et dépasser ainsi le simple effet de rattrapage hérité du « monde d’avant ».

 


[1] 364 milliards de dollars
[2] La marque Du Pareil au Même est d’ailleurs présente dans le pays