« Le marché allemand de la mode est un marché qui se restructure complètement : il est bien plus ouvert qu’il y a cinq ou dix ans »… Laurent Guérin est responsable export Mode pour Business France en Allemagne et zone rhénane et, depuis quelques années[1], il a pu observer une appétence plus forte des acheteurs pour de nouvelles marques internationales… mais, par-dessus tout, pour des tendances écoresponsables qui rencontrent ici une demande presque mass market.

Focus sur un phénomène grandissant outre-Rhin qui pourrait profiter aux PME françaises du secteur.

 

 

+13 % PUIS +33 % DE CROISSANCE

 

« L’écoresponsabilité en Allemagne, c’est presque un patrimoine culturel, commence-t-il : les allemands sont connus pour leur sensibilité écologique ». Dans le secteur de la mode, cet intérêt s’exprime dans les études consommateurs où, en 2019, 23% des acheteurs interrogés affirmaient dédier une part de leur budget à la mode écoresponsable. Une prévision qui monte même à 40% pour l’été 2020… avant d’être interrompue par la crise du Covid-19.

Un intérêt déclaratif réel donc, mais difficilement traduisible en chiffres de marché tant le secteur est disparate. « Sur les 65 milliards de chiffre d’affaires que représente le secteur mode en Allemagne, on considère que 200 millions seraient à allouer au secteur écoresponsable ». Ce qui reste encore un chiffre niche… mais qui doit s’étudier au regard de son taux de croissance exponentiel : +13% entre 2017 et 2018 et + 33% entre 2018 et 2019 [2].

En revanche, en 2020, le chiffre d’affaires correspondant a chuté de près de 8 %.

 

UNE DEMANDE MOYENNE GAMME TIRÉE PAR LES LABELS

 

Mais que recouvre concrètement le secteur écoresponsable ? Dans la galaxie de marques et de tendances qu’il comprend, on retrouve essentiellement les paramètres bio, éthiques et lifestyle. Avec, pour l’Allemagne, « un vrai pouvoir du label », confirme Laurent Guérin qui en cite trois incontournables : Oeko-Tex (le principal label européen), BSCI (label éthique) et GOTS (matériaux bio). « Les acheteurs allemands vont prendre ce critère comme première base, bien plus que le design ou le storytelling du produit : il faut les convaincre sur des critères tangibles de qualité, et les labels en font partie », avertit-il.

Le «bouton vert» (Grüner Knopf)

Introduit en 2019 par le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ), le label « Bouton Vert » certifie les produits textiles respectant une série de critères écologiques et sociaux. Il offre une garantie aux consommateurs soucieux de soutenir une production textile durable et équitable. Sa particularité ? L’entreprise tout entière fait l’objet d’un contrôle.

Au-delà, les tendances de la demande allemande sont particulièrement orientées vers les matériaux traditionnellement phares que sont le coton bio, le polyester recyclé ou encore le Tencel (ou Lyocell), une fibre produite à partir de pulpe de bois. « Mais la grosse innovation à surveiller, c’est tout ce qui concerne la production à base de végétal – comme l’ananas, le marc de café ou l’huile de Ricin. La nouvelle génération en est très friande », confirme Laurent Guérin.

 Une appétence qui se traduit par une conversion des plus gros distributeurs et discounters allemands : Zalando aurait ainsi mis un coup d’accélérateur sur le sujet, y compris sur le packaging, tandis que Lidl, Aldi et Tchibo feraient paraître de nouvelles collections accessibles au plus grand nombre. « Le déterminant de la demande allemande écoresponsable, ce n’est pas forcément le premium comme en France : on trouve beaucoup de produits en moyenne gamme, ou des collections mixtes issues d’un partenariat entre un designer et un grand distributeur », évoque Laurent Guérin.

 

IMPOSER LE STYLE FRANÇAIS

 

Difficile du coup de dresser un portrait-robot de l’offre écoresponsable attendue en Allemagne… « Mais on peut quand même mentionner quatre créneaux de positionnement. Le premier, ce serait le créneau pure player de l’écoresponsabilité, soit des marques comme l’allemande Lanius ou les français Les Racines du Ciel et Faguo. Le second, ce serait le créneau grand groupe proposant des collections capsules, avec de grands noms comme Hugo Boss. Un troisième créneau pourrait être l’association de l’écoresponsabilité et de la performance sportive et tech, via des start-up de la fashiontech. Et le dernier, ce serait le segment des marques trendy, qui s’imposent indépendamment de leur écoresponsabilité ». Sur ce dernier créneau, une des marques référence souvent citée sur le marché allemand, c’est Veja, le fabricant de baskets écologiques qui cible son marketing sur le ‘look and feel’ du produit avant son critère écoresponsable. « Veja peut être pris en exemple de ce qui est attendu sur le marché : un produit résistant et épuré, avec un univers de marque différenciant et un positionnement écoresponsable ».

 Car le besoin de se différencier des produits nordiques ou néerlandais en la matière se fait de plus en plus sentir : « La France bénéficie d’une bonne image sur le marché de la mode mais nous ne sommes que 13e fournisseurs de l’Allemagne sur l’ensemble du marché », mentionne Laurent Guérin. Une timidité qui s’explique peut-être par un retard de positionnement sur le sujet mais aussi des spécificités du marché allemand, parfois coûteux et long à prospecter : « L’Allemagne est un pays de salons : il faut accepter de prendre un stand plusieurs années de suite pour se faire repérer dans la durée », témoigne-t-il.

 

E-COMMERCE ET SALONS, LES CLÉS DU MARCHÉ

 

Dans les prochains mois, le salon NEONYT, nouvelle grand-messe de la mode écoresponsable européenne, devrait tenir sa première édition à Francfort (après plusieurs années à berlin). « Ce sera l’occasion pour les exportateurs français de rencontrer et convaincre des acheteurs venus d’Allemagne, mais aussi d’Autriche et des pays d’Europe centrale », insiste-t-il

La distribution est en effet un élément-clé pour l’explosion de la mode écoresponsable : au-delà des discounters, les enseignes de magasins « spécialisés mode » qui captent 60% du marché (comme Ramelow ou Jost) participent à la reconnaissance des marques, et le segment écoresponsable n’y fait pas exception. « Mais sur ce secteur, le e-commerce est particulièrement efficace », signale Laurent Guérin. Avec 26% du marché (en hausse de 13% entre 2018 et 2019). Alors qu’en 2019 la vente en ligne des articles de mode, accessoires et chaussures s’élevait à 30,1% du marché, en 2020 cette part est passée à un taux estimé entre 39 et 42% soit 10 points de plus. Avec des sites spécialisés comme loveco-shop ou avocadostore, celui-ci s’impose en effet comme un relais indispensable à prospecter.

 

« LES AGENCES COMMERCIALES SONT PRÊTES À INVESTIR »

 

Plus globalement, les entreprises françaises sont invitées à s’adapter à la demande allemande en privilégiant les basiques épurés et les couleurs plus hivernales : « Attention à réserver une proportion plus importante de grandes tailles. Et à focaliser sur les best-sellers de vos collections, car les acheteurs prennent rarement plus de 40 références », conseille Laurent Guérin. Mais ce qui attire plus particulièrement l’attention en cette période de recherche d’innovation, ce sont les produits écoresponsables issus de la Fashion Tech : « Sur ce créneau, les agences commerciales sont prêtes à investir beaucoup », confie-t-il. Et des salons comme l’ISPO, WearIT Berlin ou les Performance Days se montrent particulièrement à la pointe pour promouvoir les marques.

Une fois percé, le marché allemand est donc susceptible d’offrir de nombreuses perspectives sur le créneau écoresponsable : « Il y a l’avantage des volumes, mais aussi de la fiabilité sur le long terme : une fois qu’on a trouvé un bon partenaire commercial, il revient souvent sur plusieurs années », confirme Laurent Guérin.

 

EN ATTENDANT LE POST-COVID…

 

Reste à investir des moyens comme l’embauche d’un germanophone ou l’inscription sur les salons du secteur. Dans le contexte immédiat du coronavirus, la stratégie digitale semble payante : Et comme le disait la fondatrice de Lanius, « Les services de vente en ligne avec livraisons vont permettre de compenser un peu ; la mode écoresponsable étant par essence moins sensible aux modes, il est possible de décaler en partie une collection sur l’année suivante », signale Laurent Guérin.

La reprise post covid est plutôt qualifiée de « mole » par les observateurs du marché : l’Allemagne devrait terminer l’année avec une reprise de la croissance de +2,7% (moins fulgurante qu’en France). Pour 2022 les prévisions sont de +3,7% [3] avec une croissance de la consommation du secteur privé qui ne redémarrerait franchement qu’en 2022 : +5,5% (-0,1 % en 2021).

  

 


[1] Il a notamment travaillé dix ans au sein du groupe Galeries Lafayette à Berlin
[2] Source : statista 2021
[3] Source : Handelsblatt 17/18/19 septembre 2021, HRI (Handelsblatt Research Institut)