Ce 26 avril 2022 sur la scène des Seafood Excellence Awards du salon Seafood de Barcelone, ce sont deux entreprises aux profils bien distincts qui se présentent avec leur trophée  devant les photographes: il y a d’une part le géant galicien Pescanova primé dans la catégorie retail pour ses noodles de saumon destinées à une consommation au foyer, et à ses côtés, une entreprise française, la jeune pousse bretonne GlobeXPlore, venue soumettre au circuit HORECA la dernière-née de ses spécialités culinaires à base d’algues, le tartinable d’algues yuzu et gingembre. Deux innovations de niche et deux approches complémentaires du marché des produits de la mer ; mais en arrière-plan aussi, deux nations en pointe sur la création et la tradition seafood avec des synergies de plus en plus évidentes.

 

Un leader de production... qui ne comble pas ses besoins

Le trio merlus / céphalopodes / fruits de mer

Une primauté du frais français qui plaît aux espagnols

Un marché de prix ?

Les "merca", un partenaire indispensable

Retour sur le salon Seafod

 

 

UN LEADER DE PRODUCTION… QUI NE COMBLE PAS SES BESOINS

Si la relation entre ces deux puissances de pêche européenne s’est parfois accompagnée de tensions (la plus récente concernant le merlu en 2013), les années 2010 ont plutôt penché en faveur d’un alignement sur les objectifs communs de production et de préservation (quotas européens, contrôles, TAC[1]). Mais ce sont surtout les besoins grandissants de l’Espagne, troisième pays consommateur derrière le Portugal et la Norvège en 2018[2], qui ont accru la relation commerciale entre les deux voisins.

En effet, si celle-ci fait figure de leader européen en matière de production (premier producteur européen avec 20% de la capture européenne), sa demande importante en produits de la mer en foyer et hors foyer en fait un marché d’appel important pour les productions françaises, en surgelé mais surtout en frais. « Pour des opérateurs de taille intermédiaire qui ne connaissent pas encore le marché espagnol, il est temps de venir explorer les opportunités, d’autant plus en cette période de reprise post­-covid sur le circuit HORECA », signale Astrid Charpentier, chef de pôle Agrotech pour Business France Espagne.

Selon l’étude qu’elle a menée en 2020[3], les Espagnols consommeraient en effet 22,5 kg de produits de la mer par an et par habitant à leur domicile, et 3,7 kg en restauration hors foyer – des chiffres parmi les plus élevés d’Europe et qui trouvent leurs pics dans des régions comme la Catalogne, l’Aragon, le Pays basque ou bien sûr la communauté de Madrid.

 

- ETUDE -

Exporter des produits alimentaires en Espagne 

 

Une approche régionale que confirme Jean-Baptiste Chassin, directeur commercial pour le géant Pescapuerta et consul honoraire à Vigo : « On ne consomme pas les mêmes quantités de produits selon que l’on vit à Barcelone ou en Galice, d’où l’importance d’opérer un ciblage par communauté autonome ». En Catalogne en effet, les produits phares en matière d’importation française sont les seiches, les crevettes ou encore les langoustines et homards, alors qu’en Galice et au Pays basque, c’est le merlu, poisson le plus consommé en Espagne[4], qui prend la pole position (il n’arrive qu’en dixième position de l’import catalan).

 

LE TRIO MERLUS / CÉPHALOPODES / FRUITS DE MER

« Dans un pays qui se situe parmi les dix premiers importateurs mondiaux de produits de la mer, les opportunités françaises sont nombreuses, à commencer par trois segments de marché en tension : le merlu, les céphalopodes (poulpes, seiche, encornets) et les fruits de mer de niche (huîtres et moules) », résume Astrid Charpentier. Sur ce dernier segment, l’Espagne assiste à un changement culturel : là où les huitres étaient habituellement consommées plates et à certaines périodes de l’année exclusivement, elles connaissent désormais un essor en RHD et en supermarché à toute saison et sous forme creuse. Avec un positionnement prix souvent premium que l’affluence d’exposants sur le salon Seafood 2022 tend à confirmer : « On sent une vraie tendance monter sur ce créneau, avec une mise à l’honneur de la qualité française », témoigne Astrid Charpentier.

 

UNE PRIMAUTÉ DU FRAIS FRANÇAIS QUI PLAÎT AUX ESPAGNOLS

Un attrait pour le Made in France ? Par sa position géographique, la France est assurément un fournisseur privilégié pour son partenaire espagnol (elle est quatrième ou cinquième fournisseur en valeur, avec 6% du total des importations) mais ce n’est pas la seule raison : « Ce qui distingue la France de la plupart des concurrents, c’est la part prépondérante des produits frais dans ses échanges avec l’Espagne », analyse Jean-Baptiste Chassin. Là où les produits congelés représentent 72% en volume des importations totales de l’Espagne, cette part tombe à 17,5% quand il s’agit de la France. « Le segment frais reste le segment privilégié des consommateurs espagnols et, là-dessus, la France jouit d’une image de qualité qui lui permet de faire la différence face aux concurrents de proximité que sont le Maroc et le Portugal (même si ce dernier fait preuve d’une montée en gamme) ». L’étiquetage « origine France » (voire même l’origine régionale française) peut donc servir d’accélérateur pour placer ses produits sur le circuit HORECA ou dans les commerces traditionnels. « C’est particulièrement vrai pour les céphalopodes et les fruits de mer » appuie Astrid Charpentier. En revanche, si les labels MSC ou ASC commencent à fleurir sur les packagings, il n’existe pas à ce jour de corrélation identifiée sur l’augmentation des volumes de ventes.

 

UN MARCHÉ DE PRIX ?

Le frais occupe donc la position privilégiée de l’export français, à destination de trois régions principalement : la Galice avec 30% de l’export français, le Pays basque avec 24% et la Catalogne avec 23,5%. Mais le segment du congelé peut également trouver quelques terrains d’exploration : « L’Espagne se met peu à peu aux produits congelés prêts à l’emploi (c’est-à-dire cuisinés), signale Jean-Baptiste Chassin. Mais comme il y a moins de tradition culturelle là-dessus, cela reste des produits chers qui peuvent se heurter aux problématiques de pouvoir d’achat ».

Car si la consommation de produits de la mer est très développée, le facteur prix peut avoir son importance au regard du contexte inflationniste que subit l’Europe. « Pour l’instant, nous n’observons pas de baisse de la demande mais il faudra rester vigilants, sur le frais comme sur le congelé où les prix sont souvent évoqués avec glaçage inclus », témoigne Jean-Baptiste Chassin. Dans un pays où trois espagnols sur quatre consomment des produits de la mer au restaurant, une premiumisation trop forte de certains produits pourrait avoir un effet d’éviction. Un constat que modère Astrid Charpentier : « Il ne faut pas négliger la part prise par le tourisme qui monte en gamme depuis plusieurs années : pour cette cible spécifique, les produits plus rares ou de qualité premium restent une valeur sûre ».

 

LES « MERCA », UN PARTENAIRE INDISPENSABLE

Pour les mareyeurs français soucieux de tenter l’aventure espagnole, l’accès au marché passera alors inexorablement par une approche des « Merca », ces grossistes régionaux qui servent les commerces traditionnels et restaurants locaux et qui opèrent 50% de la commercialisation des produits de la mer. « On en recense 23 sur tout le territoire espagnol, les deux plus importants étant le Mercamadrid et le Mercabarna qui sont presque équivalents au marché de Tokyo, cite Astrid Charpentier. Attention : en Galice, il n’existe pas de marché de gros mais deux criées, une à Vigo, l’autre à La Corogne ». Pour travailler avec ces Merca, l’exclusivité s’impose autant qu’une relation de proximité. « Il est très important de privilégier le lien sur le terrain, en parlant espagnol et en se montrant à l’écoute des spécificités régionales », insiste Jean-Baptiste Chassin. En 2021, Business France a ainsi accompagné l’entreprise normande La Hautaise à la découverte des opérateurs de merca, une mission personnalisée bien vite synonyme d’ouverture du marché : « Grâce à une prospection sur-mesure entre avril et juin 2021, j’ai pu rencontrer en visio plusieurs grossistes des grandes villes espagnoles, témoigne ainsi Mathieu Jaillet, dirigeant de l’entreprise. Un contrat a ensuite été signé avec le grossiste de Barcelone et des commandes ont été réalisées de manière hebdomadaire entre juin 2021 et janvier 2022 ».

« L’autre solution pour ceux qui souhaitent distribuer en retail serait de passer par les appels d’offres de distributeurs établis à la fois en France et en Espagne (comme Carrefour, Alcampo-Auchan ou Lidl) mais les cahiers des charges restent exigeants et la logistique très précise », note Jean-Baptiste Chassin. Sur ce dernier point, les transporteurs Olano, Indo et Carreras restent bien souvent la solution privilégiée.

 

RETOUR SUR LE SALON SEAFOOD

En avril dernier, le salon Seafood faisait donc office de caisse de résonance pour ces multiples opportunités de développement en Espagne, d’autant que c’était la première édition de ce rendez-vous incontournable de la filière hors de son siège habituel bruxellois : « Les participants se demandaient ce que donnerait cette édition à Barcelone mais le salon a dépassé les attentes », témoigne Astrid Charpentier. Au milieu des 29 000 visiteurs et des 3 300 exposants, 72 entreprises de la filière française étaient en effet présentes sur le pavillon France, avec, pour la plupart, la visite d’acheteurs espagnols mais aussi italiens, suisses et portugais…

 

« L’essentiel des produits présentés étaient des produits frais : cela résume bien l’attrait important qui existe actuellement sur ces produits et le désir d’innovation des importateurs en la matière », conclut Astrid Charpentier. Pour l’année prochaine, elle planifie une démarche parallèle : faire venir des importateurs espagnols directement sur le territoire français à la découverte des producteurs locaux. Une preuve supplémentaire de la très bonne santé des échanges transpyrénéens sur le segment seafood.

 

- WEBINAIRE -

Produits de la Mer : Comment approcher les opérateurs du marché espagnol ? 

 


 
[1] Total Admissible de Captures
[2] Selon l’étude Norwegian Council Seafood/Kantar TNS publiée le mardi 26 juin 2018 sur la base de la consommation de poissons au moins deux fois par semaine : Portugal (75% des habitants), Norvège (71%), Espagne (67%). En France : 34%
[3] Accédez à l'étude Business France en partenariat avec le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire en cliquant ici
[4] Devant les sardines, les anchois et le saumon