En juillet dernier, pour la première fois de son histoire, le salon Biofach de Nuremberg ouvrait ses portes en plein cœur de l’été, en lieu et place de son habituel créneau de mi-février. Un décalage à mettre sur le compte de la vague Omicron de janvier 2022 qui, après deux années d’annulations, venait une nouvelle fois bouleverser les plans du premier salon mondial de l’alimentation biologique. « Cette édition n’était donc pas encore tout à fait celle de la reprise car l’affluence n’était pas comparable à l’avant­-COVID, témoigne Caroline Girard, chargée de projets internationaux du Cluster Bio. Mais les exposants et visiteurs présents ont tout de même pu bénéficier d’un networking de qualité avec les donneurs d’ordre internationaux, et notamment allemands ».

 

Contexte morose pour le bio en France

A la recherche de marchés matures

En Allemagne, un prisme grande distribution influencé par le prix

Assurer la différenciation de son produit

L'export, voie de développement long terme pour la filière

 

 

CONTEXTE MOROSE POUR LE BIO EN FRANCE

Car l’Allemagne reste pour la filière bio un débouché privilégié à l’heure où le marché tricolore laisse entrevoir quelques signes d’inflexion. « Il y a quelques années en France, le bio pouvait surfer sur une croissance à deux chiffres (+23% en 2018) mais la baisse de pouvoir d’achat et la concurrence des allégations (local, vegan, bien-être animal) ont entamé ce capital », analyse Caroline Girard. Résultat : une baisse de 3% de la demande en bio en 2021 sur le sol hexagonal, essentiellement en distribution spécialisée. D’où une recherche accrue de relais de croissance hors des frontières pour les producteurs et transformateurs de la filière. Comme le soulignait l’Agence Bio lors de sa conférence de presse de juin 2022 : « Alors qu’à deux exceptions près, l’ensemble des marchés européens croissent en bio, le marché bio français a perdu 68 millions d’euros, incluant les achats de la restauration »[1].

 

À LA RECHERCHE DE MARCHÉS MATURES

Au sein du Cluster Bio de la région Auvergne­Rhône­Alpes, véritable accélérateur des 300 entreprises adhérentes de transformation bio certifiée du territoire (alimentaire, cosmétique, textile, produits d’entretien), Caroline Girard cible les marchés d’export les plus prometteurs et accompagne la promotion des entreprises qui le souhaitent sur les grands salons internationaux que sont Biofach ou Natexpo. « Tous les pays ne sont pas au même niveau de maturité, reconnaît­elle. Si on considère l’Europe, c’est principalement en Allemagne, en Suède, au Danemark, que des opportunités peuvent émerger pour les acteurs français du bio, avec également quelques belles initiatives à porter en Belgique, en Pologne et en Espagne ».

 

Car, même si l’alimentation bio est culturellement installée de longue date sur ces marchés (l’Allemagne est ainsi le premier pays consommateur de bio en Europe[2] et le Danemark présente le budget par habitant le plus élevé[3]), les besoins continuent d’excéder l’offre nationale. « En Allemagne, l’alimentation bio a connu une hausse de 22% en 2020 et de 5,5% en 2021, avec des filières qui ont explosé comme la volaille bio à 70% de croissance en 2020 », signale Éléonore Sayar, conseillère référente produits alimentaires chez Business France. « Et depuis 2020, les ambitions environnementales s’accroissent, avec notamment le programme BioBitte lancé en début 2020 qui vise à augmenter la part du bio dans la restauration collective publique à un minimum de 20% d’ici 2030 ».

 

EN ALLEMAGNE, UN PRISME GRANDE DISTRIBUTION INFLUENCÉ PAR LE PRIX

Un optimisme à modérer toutefois au regard de la conjoncture inflationniste qui sévit dans le pays depuis fin 2021-début 2022 : « Si le chiffre d’affaires global du bio a augmenté de 61% entre 2016 et 2021, on observe une légère baisse de 3,7% des ventes de produits alimentaires bio entre janvier et mai 2022 par rapport à la même période de l’année précédente, notamment en raison de la hausse des prix », poursuit Éléonore Sayar.

Car, dans un pays de discounters comme l’Allemagne, le facteur prix reste un impératif, même si les arguments de goût, de fraîcheur, de qualité ou encore de régionalité restent les premiers moteurs de l’achat bio[4]. Le budget consacré à l’alimentation bio s’élève ainsi à 180 euros par an par personne, plaçant l’Allemagne au septième rang européen derrière la France sur cet aspect.

 

Conséquence directe : l’achat bio en Allemagne s’effectue désormais bien plus souvent en grande distribution qu’en circuit spécialisé, le plus généralement sous marque distributeur (MDD). Les ventes de produits bio au sein de la grande distribution (principalement dominée par Edeka, REWE, Aldi, Metro et le Groupe Schwarz, maison-mère de Lidl) et dans les drogueries (DM et Rossmann) atteignent ainsi 62% du mix en 2021 – là où le circuit spécialisé ne compte que pour 14% des ventes, avec des enseignes comme Alnatura, Denn’s ou Basic. « On assiste à un phénomène de one stop shopping qui conduit les consommateurs à faire leurs achats bio au même endroit que leurs achats en conventionnel, explique Éléonore Sayar. Sans compter que les grandes enseignes ont diversifié et élargi leurs gammes MDD – qui représentent désormais près de 40% des ventes ».

 

Un constat qui peut pousser les exportateurs français à cibler en priorité l’approche des centrales d’achat de la grande distribution – s’ils acceptent toutefois de passer en MDD et d’adapter leur prix et leur packaging au marché allemand. Ou bien, dans le cas d’un produit fortement différenciant, d’opter pour le réseau spécialisé, en s’assurant de la qualité et du potentiel d’innovation du produit. « Pour ces produits en marque propre, je conseille de privilégier l’approche par un importateur grossiste spécialisé, comme Lehmann Naturkost pour les fruits et légumes », confie Éléonore Sayar.

 

ASSURER LA DIFFÉRENCIATION DE SON PRODUIT

Un impératif d’innovation que confirme Caroline Girard : « La réussite sur le marché allemand passe par une différenciation qui joue sur la qualité, le terroir ou l’ajout d’une allégation comme le véganisme, le bien-être animal, le « sans » ou la praticité (produits précuits, pré-découpés) ». Le caractère durable du packaging peut également plaider en faveur du produit, dans un pays qui a récemment voté une loi sur l’enregistrement obligatoire des emballages en vue d’améliorer le taux de recyclage (loi VerpackG entrée en vigueur en janvier 2019). Pour Caroline Girard, les entreprises françaises ont une carte à jouer, notamment sur des niches identifiées comme les produits de spécialité, le babyfood, les alternatives protéinées ou le snacking : « La proximité géographique du marché allemand et l’image de qualité associée aux produits français jouent en notre faveur ».

 

Mais sur des filières plus larges comme les fruits et légumes, la viande ou les produits laitiers, la concurrence avec les voisins néerlandais, autrichiens, italiens ou espagnols est plus rude. « Dans ces filières, mieux vaut cibler les produits pour lesquels l’Allemagne n’a pas d’autosuffisance et sur lesquels la France est compétitive, comme le chou-fleur, la pomme de terre, la volaille, le porc ou encore les fromages », signale Éléonore Sayar.

 

Une chose est sûre : si la communication autour du label bio reste encore perfectible en France, elle est bien appréhendée en Allemagne où les consommateurs accordent leur confiance plus facilement aux produits titulaires du label bio allemand (label BioSiegel gratuit, largement reconnu) ou de tout autre label comme Demeter (label payant, utile mais non indispensable pour pénétrer le marché) : « Au-delà du label européen, ces marquages allemands sont un vrai gage de crédibilité pour le consommateur », confie Éléonore Sayar.

 

L’EXPORT, VOIE DE DÉVELOPPEMENT LONG TERME POUR LA FILIÈRE

À l’heure où le marché du bio devient excédentaire en production en France (en 2021, la France est passée premier producteur européen en agriculture biologique), la recherche de marchés de débouchés est plus que jamais au cœur des enjeux pour les acteurs du bio : l’Allemagne, avec son pouvoir d’achat élevé et sa demande en hausse constante, devrait par conséquent constituer une destination naturelle pour les entreprises.

Dès 2023, BioFach reprendra son créneau habituel de février et fera probablement le plein d’exposants et de visiteurs. L’occasion pour Caroline Girard de mobiliser les entreprises : « Les salons donnent l’opportunité de rencontrer les importateurs et distributeurs venus de toute l’Europe : avec Natexpo et la Nordic Organic Food Fair (NOFF), BioFach reste un incontournable pour rayonner à l’export ».

 

Un motif d’espoir ? En 2021, l’export de produits bio s’est fortement développé, passant de 887 millions d’euros à 1 047 millions d’euros (+18%). Preuve que la dynamique est déjà enclenchée pour assurer des relais à la production française.

 

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[1] https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2022/06/DP-final_AGENCE-BIO-10-juin-2022.pdf
[2] 27% de la consommation européenne de produits bio en valeur
[3] 422 euros par habitant en 2020
[4] Selon une étude réalisée par Statista en 2022