Prendre la mesure du phénomène représenté par le marché indien des cosmétiques, c’est d’abord se pencher sur un chiffre : 5%. Soit la part que celui-ci devrait capter sur la totalité de la cosmétique mondiale en 2025. Un chiffre triplé par rapport à la situation de marché actuelle[1], et dont la rapide explosion tient d’abord dans une explication : la démographie indienne. « Quand on sait que l’Inde devrait dépasser la Chine en nombre d’habitants d’ici 2030 et que 53 villes indiennes ont déjà dépassé le million d’habitants, on comprend alors que la croissance des marchés de consommation se fasse de façon exponentielle », explique Brinder Rault, Cheffe de pôle Art de vivre et Santé au bureau indien de Business France.

 

 


L’EXPLOSION DES CLASSES MOYENNES

Car à la clé, c’est un réservoir de près de 70 millions de consommateurs issus de la classe moyenne supérieure et des classes très aisées qui se presse autour des produits et nouveautés cosmétiques. « Soit l’équivalent de la population française, appuie Brinder Rault. Et c’est compter sans la classe moyenne traditionnelle qui, elle, regroupe pas moins de 150 millions de consommateurs… » Des personnes jeunes, autonomes financièrement (de plus en plus de femmes gagnent un salaire), et pétries de « self-indulgence » qui voient dans les cosmétiques un outil d’affirmation de soi.

Dans les salons de beauté et spa des grandes villes, femmes et hommes se pressent pour entretenir leurs visages et leurs cheveux avec des soins dédiés tandis que les solutions de « whitening » ou de « lutte anti-pollution » rencontrent un succès grandissant. Dans les « kitty parties », les femmes de la haute société indienne se réunissent pour dévoiler les derniers objets de valeur dont elles ont fait l’acquisition. Et quand un mariage se présente, on cherche à faire appel aux « make over artists »[2] les plus renommés pour ressembler aux stars de Bollywood.

 

L’APPÉTENCE OCCIDENTALE

L’Inde a ses traditions et ses rituels (naturels et ayurvédiques notamment), mais c’est bien hors des frontières qu’elle tire désormais son inspiration : trente ans après l’ouverture du pays aux échanges internationaux, l’influence des marques occidentales n’a jamais été aussi forte. « Dans une société qui concentre 430 millions d’internautes et qui propose les smartphones les moins chers du monde, la tentation d’imiter les égéries des grandes marques internationales comme l’Oréal ou Estée Lauder est grande. Sans compter les influenceurs et bloggeurs du moment… », précise Brinder Rault, qui cite Scherezade Shroff (Sherry Shroff) et Gia Kashyap (Gia Says that) parmi les célébrités locales du web.

 

Ce prisme occidental offre d’ailleurs aux exportateurs un avantage immédiat : un effort limité en termes d’adaptation du produit. « Pas besoin de modifier la composition, pas besoin de changer le packaging : les indiens apprécient le « brand label » dans son entièreté », confirme Brinder Rault. Les seules vigilances à avoir se rapportent à l’ancrage végétarien fort de la population qui limite de facto la communication autour des ingrédients d’origine animale. Et des droits de douane autour de 30-40%.

Au-delà, la percée du marché indien reste assez simple, avec une procédure d’enregistrement effectuée en un ou deux trimestres, et une ouverture facilitée sur les marchés voisins du Bangladesh et du Sri Lanka. « Il y a quinze ans, les entreprises françaises n’avaient pas forcément l’Inde en ligne de mire et ciblaient la Chine en priorité. Aujourd’hui, elles comprennent tout le profit qu’elles peuvent en retirer pour un investissement limité ». Car si le business long terme avec les indiens nécessite parfois patience et apprivoisement (l’établissement d’un relationnel personnel étant clé), les premiers pas peuvent se faire très facilement avec un importateur/distributeur. « Ce qui importe au début, c’est réellement la construction d’un discours et d’une stratégie marketing percutants, car les indiens ont besoin d’un bon storytelling de marque pour adhérer au produit », conseille Brinder Rault.

 

LA FRANCE EN TÊTE

Car la France bénéficie en Inde d’un présupposé positif sur le marché des cosmétiques et l’ancienneté de ses grandes maisons agit comme une usine à rêves : L’Oréal, le groupe Pierre Fabre, L’Occitane, mais aussi les marques haut de gamme comme Dior, Chanel ou Lancôme bénéficient d’une forte exposition sur ce marché. Et le terrain n’est pas limité : « En ce moment, il y a une véritable appétence pour les marques françaises liées aux soins de spa : des groupes comme Algotherm, Olivier Claire ou Rémy Laure ont opéré une véritable percée en très peu de temps », signale Brinder Rault. Autre segment en vogue pour les exportateurs français : la fabrication à façon, qui bénéficie de la diversification grandissante des marques de mode indiennes vers les parfums et soins de beauté en marque propre.

« Les espagnols et les italiens sont aussi présents sur ces marchés, mais la France a un plus, et il est reconnu localement ». Reste à faire la différence sur le segment porteur des produits naturels face à des marques indiennes qui jouissent encore largement de l’image traditionnelle ayurvédique du pays, avec des marques comme Himalaya, Shahnaz Hussain, Forest Essentials ou Kama…

 

DISTRIBUER EN LIGNE

« Plus globalement les acteurs indiens résistent bien sur le marché des cosmétiques, avec de grandes marques comme Lakmé ou Marico qui sont bien distribuées dans les enseignes indiennes (Shopper Stop, Lifestyle) et dans les chaînes de parapharmacie (Health & Glow) », cite Brinder Rault. Mais le gros de la distribution cosmétique s’effectue surtout en ligne, avec 25000 codes postaux couverts par les distributeurs en ligne, là où les réseaux physiques n’en couvrent que 5000. Et la star incontestée sur le segment cosmétique, c’est Nykaa qui, avec plus de 600 marques, est devenue un passage incontournable pour toute marque B2C soucieuse de s’implanter sur le marché.

 

Dermocosmétiques, soins capillaires, maquillage, produits naturels… les horizons restent ouverts et alléchants sur le marché indien et les exportateurs français ne devraient pas s’y tromper. « On ne peut plus ignorer l’Inde, conclut Brinder Rault. Avec sa démographie galopante et sa hausse de pouvoir d’achat, il y a tous les ingrédients pour créer un appel d’air. Et, sur le terrain des cosmétiques, la France a vraiment une longueur d’avance sur ses concurrents… »

 

[1] Valeur du marché indien en 2019 : 6 milliards d’euros, estimations pour 2025 : 18 milliards d’euros.

[2] Maquilleurs


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