« Sous le feu des projecteurs ». C’est, selon Dick Searle, président de la Packaging Federation du Royaume-Uni, la situation rencontrée par l’industrie de l’emballage alimentaire à l’orée des années 2020 en Europe. Prise en étau entre les attentes environnementales, les objectifs de sécurité alimentaire et la performance économique, l’industrie explore les innovations susceptibles de lui assurer une croissance de long terme : nouveaux matériaux, nouvelles machines, nouveaux process… Outre-Manche comme outre-Rhin, les besoins se font sentir et pourraient bien intéresser les filières françaises. Revue de tendances sur ces deux marchés.

 

1. UNE CONJONCTURE MARQUÉE PAR LE COVID ET LE BREXIT
4. UNE INJONCTION SOCIÉTALE À RÉDUIRE LE PLASTIQUE
2. UN MARCHÉ DE DONNEURS D’ORDRE ATOMISÉ…
5. DES BESOINS NOUVEAUX EN ÉQUIPEMENTS
3. … ET DÉSORMAIS DISRUPTÉ
6. « PROTÉGER, PRÉSERVER ET CONTENIR »

 

 

UNE CONJONCTURE MARQUÉE PAR LE COVID ET LE BREXIT

« Comparé à d’autres industries, nous pouvons considérer qu’on ne s’en sort pas trop mal ». Ce constat raisonnablement optimiste, c’est Christian Nink, directeur de la communication de l’Institut allemand de l’emballage[1] qui le fait au regard de la situation post-COVID et du contexte rencontré sur le front des matières premières. Certes, les prix flambent et pèsent sur l’équilibre économique du secteur (notamment le prix du bois pour les emballages cartonnés et le prix des matières plastiques recyclées) mais les entreprises de la filière se sont maintenues à des niveaux de pertes acceptables. Au total dans son pays, le secteur des machines dédiées aux produits alimentaires et d’emballages a connu une baisse de 9% en 2020 pour descendre à 13,9 milliards d’euros après dix années de croissance continue. « Mais elles sont en plein rebond » confie-t-il. Une reprise en partie boostée par le e-commerce alimentaire et par la demande importante de sécurité sanitaire pour les aliments.

 

« Car l’alimentaire occupe une place primordiale dans l’industrie de l’emballage ». Un constat partagé par Dick Searle au Royaume-Uni, où 65% du chiffre d’affaires total de l’industrie (soit 12 milliards de livres sterling) devrait être réalisé sur le segment Food & Beverages à horizon 2022. Dans son pays, l’enjeu de la fourniture en matière première est rendu d’autant plus critique par le Brexit : « Les entreprises sont en train de formaliser leurs achats pour l’année prochaine et nous espérons que le Brexit n’affectera pas notre pouvoir de négociation », confie-t-il.

 

UN MARCHÉ DE DONNEURS D’ORDRE ATOMISÉ…

En Angleterre comme en Allemagne, le paysage des industriels de l’emballage alimentaire est en effet très éclaté (plus de mille structures, dont +80% ont moins de 20 employés) et il est parfois difficile de dégager de grands donneurs d’ordre. « En Angleterre, la majorité des entreprises se situe dans la région des West et East Midlands, à proximité des géants agroalimentaires que sont 2 Sisters Food Group ou Samworth Brothers ; c’est un marché qui emploie tout de même 3% de la main d’œuvre manufacturière du pays », témoigne Adèle Chabbert, chargée de développement Agrotech au Royaume-Uni pour Business France.

De l’autre côté du Rhin, c’est l’industrie de l’équipement qui tire le marché : « Une machine d’emballage sur trois vendue dans le monde vient d’Allemagne », rappelle Christian Nink. Un leadership porté par de grands noms comme Gerhard Schubert GmbH, Harro Höfliger GmbH ou encore Optima packaging group et qui se déploie notamment dans le très prisé Packaging Valley cluster au Sud-Ouest de l’Allemagne.

 

… ET DÉSORMAIS DISRUPTÉ

Mais l’entrée dans la décennie 2020 challenge fortement l’ordre établi, avec l’arrivée d’une concurrence de nouveaux acteurs accélérée par les préoccupations environnementales. « On peut citer des start-up innovantes comme Packpart, qui source des machines d’emballages neuves ou d’occasion sur le marché ; ou encore Recyda qui identifie les supply chains de produits recyclés les plus efficientes à travers l’Europe ; ou enfin Cirplus, une market place B2B de matières plastiques circulaires », témoigne Christian Nink.

 

« Mais la grosse tendance du marché, continue-t-il, c’est l’entrée des distributeurs et discounters dans la production de matières alternatives ou recyclées ». À ce titre, les initiatives de Schwarz Gruppe[2], dont l’usine Silphie propose des solutions d’emballages à base de fibres et papiers durables, sont tout à fait éloquentes.

 

Même tendance downstream[3] au Royaume-Uni où le brasseur américain Budweiser, installé au Pays de Galles et dans le Lancashire, a récemment investi 6,3 millions de livres sterling dans des infrastructures d’emballages fabriqués à partir de matériaux renouvelables. « Près d’une centaine d’entreprises britanniques ont signé le UK Plastics Act qui vise à convertir 100% des emballages en solutions réutilisables, recyclables ou compostables », témoigne Adèle Chabbert. Parmi elles : Tesco, Sainsbury’s, Marks & Spencer mais aussi Coca-Cola, Nestlé, Danone ou encore Aldi, toutes fédérées par le collectif Waste and Resources Action Programme (WRAP).

 

UNE INJONCTION SOCIÉTALE À RÉDUIRE LE PLASTIQUE

Un signal fort de l’industrie agro, doublé d’une injonction réglementaire et fiscale : à partir d’avril 2022 au Royaume-Uni, les producteurs d’emballages et leurs clients devront s’acquitter d’une taxe de 200 livres par tonne d’emballage dès lors que celui-ci contiendra moins de 30% de matières recyclées. « Une taxe complexe à envisager dans les faits, tempère Dick Searle. Car il est à la fois difficile d’évaluer la proportion exacte de matières recyclées dans un produit d’emballage et encore plus difficile de faire payer le client pour ce produit ». Au niveau de l’Union Européenne, des dispositifs réglementaires équivalents sont attendus même si l’incertitude demeure : « Nous ne savons toujours pas qui devra s’acquitter d’une éventuelle taxe », témoigne Christian Nink.

 

Il n’empêche : les marchés allemand et anglais de l’emballage sont aujourd’hui confrontés à une demande accrue de substitution des matières plastiques, qui impose une refonte des processus. « Toutes les marques ont compris qu’il fallait substituer le plastique, même si cela implique des coûts supplémentaires, car le prix à payer en termes de pertes de parts de marché futures sera encore plus fort », analyse Christian Nink. Le leader allemand Gerhard Schubert a d’ailleurs théorisé l’approche sous l’acronyme 5R (« refuse, reduce, reuse, recycle, rethink ») - Refuser et Réduire les matériaux non essentiels, Réutiliser et Recycler les matières, Repenser les processus.

 

DES BESOINS NOUVEAUX EN ÉQUIPEMENTS

« Les trois grandes tendances du marché, résume Christian Nink, c’est la hausse de la demande en matières cartonnées, la réduction des quantités de plastiques et le renforcement du recyclage. Cela impose d’investir dans des équipements permettant d’atteindre à la fois les objectifs environnementaux et un ROI rapide… tout en garantissant la sécurité sanitaire, pour laquelle le plastique reste une valeur refuge ».

 

D’où la recherche de solutions flexibles capables de travailler à l’échelle avec plusieurs matériaux (plastiques, papier, matériaux recyclés). « Le travail sur l’emballage papier n’est plus seulement une niche : de grands industriels comme Nestlé les utilisent à grande échelle - pour leurs bonbons par exemple. Il faudrait pouvoir trouver des équipements capables de générer ces rendements en peu de temps que ce soit sur du 100% papier ou sur un mix de matières ». Avec l’aide de solutions d’automatisation et d’optimisation de type Big Data, cobotique et IoT ? « Les jumeaux numériques sont effectivement de plus en plus utilisés et demandés », note Christian Nink.

 

De même, sur la partie recyclage, le besoin d’innovation se fait sentir pour identifier et trier rapidement des matières issues d’emballages complexes : « Les produits monomères comme les bouteilles en PET sont faciles à recycler. Mais pour des produits composés, il faudrait des innovations digitales capables de scanner rapidement les différents polymères et les orienter vers les cycles de recyclage adaptés ».

Une demande en recyclage local qui s’intensifie également en Angleterre, à l’heure où les chaînes mondiales d’approvisionnement en matières premières saturent et renchérissent leurs coûts. « En 2020, le gouvernement britannique a renforcé sa stratégie de gestion des déchets pour accentuer la responsabilité des utilisateurs. Mais les collectivités ne sont pas forcément prêtes et toutes les matières ne sont pas autorisées pour du recyclage », témoigne Dick Searle.

 

« PROTÉGER, PRÉSERVER ET CONTENIR »

Car le nœud du problème quand il s’agit d’emballage alimentaire tient dans la nature même du produit emballé : par les contraintes sanitaires qui s’appliquent, tous les produits recyclés ou biosourcés ne sont pas aptes à servir d’emballages. « À quoi sert un packaging alimentaire ? À protéger, préserver et contenir », pointe Dick Searle. « Même si le recyclage se développe, il n’en reste pas moins que seules deux sources de plastique recyclé (PET et HDPE) ont été approuvées par les autorités pour un réemploi dans le domaine alimentaire ». « Les industriels ont les capacités techniques de produire d’autres matières recyclées mais ils attendent un cadre légal pour avancer », renchérit Christian Nink.

 

Même problème quant à l’usage de matières alternatives ou de plastiques biosourcés : « Pour des denrées sèches, il est simple de substituer du papier ou d’utiliser des plastiques à base de PLA ; mais pour des produits sensibles comme la viande ou le fromage, impossible car ils laissent passer l’air et réclament un revêtement supplémentaire qui les rendrait impropres au recyclage », souligne Christian Nink. Le recours au plastique reste donc l’étalon de l’industrie, avec pour boussole une optimisation de son utilisation, qu’il s’agisse de la taille des polymères, de leurs propriétés (ex : polymères intelligents capables de modifier leurs propriétés en fonction de leurs conditions d’utilisation) ou des process industriels associés.

 

« Toutes ces innovations sont espérées et attendues par les marchés européens, et notamment en Allemagne et au Royaume-Uni », souligne Adèle Chabbert. En février prochain, elle organise la promotion des entreprises françaises dans le cadre du salon Packaging Innovations & Empack à Birmingham : l’occasion de présenter l’offre française et de faire valoir son niveau de technicité (sécurité, spécialisation) autant que son tissu d’innovations. En Allemagne, ce seront l’ANUGA FOODTEC à Cologne en avril 2022 et INTERPACK à Düsseldorf en mai 2023. « Il y a des parts de marché à aller chercher pour les acteurs français sur ces deux marchés pourvu qu’ils soient innovants et proposent des solutions rapidement ROIstes pour les donneurs d’ordre », conclut Adèle Chabbert.

 

 


[1] Deutsches Verpackungsinstitut e. V.
[2] Une marque du groupe Lidl
[3] Intégration de l’emballage dans les opérations des entreprises aval (industriels agroalimentaires et distributeurs). Cf Etude Packaging Services in the UK, IBISWorld, mai 2021